Un écrivaillon

J’ai écrit pour la catégorie hors-jeu, hors-délai, hors-limite pour le concours des Carnets Paresseux, dont le règlement est ici .
Je me suis fait plaisir en espérant faire plaisir également.

La découverte dont elle venait de me parler me fit sourire, je ris sous cape.

Je me suis dit qu’être moqueur n’était sans doute pas la meilleure solution. Il me fallait ménager sa susceptibilité. Février ne comportait que 28 jours, 28 étant un multiple de 4 et la semaine comportant 7 jours, je n’en dis pas plus.

En fait je suis né en février, le même jour que Victor Hugo, Jean Teulé ou Michel Houellebecq.

Qu’elle lut derrière mon épaule ce que j’écrivais suffit à la mettre en colère. Elle me traita de prétentieux, insinuant que même si j’écrivaillonnais un peu je n’avais pas la moindre once de talent et que cette similitude n’était due qu’au hasard.

Elle me lança furieuse « T’as vu ton âge, si tu avais du talent il y a longtemps qu’il aurait explosé. Tu n’es qu’un petit feu d’artifice foireux. »

J’eus la mauvaise idée de pleurer de rire lorsqu’elle m’avoua toute la considération qu’elle avait pour moi. Elle eut du mal à se maitriser. Mon rire franc l’excitait. Elle devint furieuse, s’énerva.

J’étais sans prétention l’écriture n’était qu’un passe-temps qui me servit bien des fois à garder mon équilibre. J’avais comme devise : « J’écris pour tenir debout. »

En effet aussi risible fut-elle cette thérapie m’avait aidé à affronter bien des ouragans. Ecrivant, déformant mon quotidien, ma plume canalisait mes émotions, mes faiblesses.

« Tu es infoutu de terminer ce que tu entreprends, continua-t-elle. Tu n’écris que des nouvelles que tu termines avec des pirouettes parfois un peu légères. »

Je ressentis comme une piqûre qui m’empêchait de bouger ou même de tourner la tête. Comme une aiguille dans la moelle épinière qui m’immobilisait. Le bout des doigts me picotait comme si mon sang n’affluait plus. La transparence soudaine de ma peau me surprit. Assis sur le siège devant l’ordinateur l’engourdissement ou la raideur me bloquait.

« Han ! cria-t-elle tandis que mes yeux se révulsaient, ça t’apprendra à copier tout ce que j’écris plagiaire. »

Le catana qu’elle m’enfonça entre les côtes était un vieux souvenir de mon année Erasmus passée à Tôkyô.

Je ne sus jamais si ce furent les mots ou mon sang qui me quittèrent en premier. L’écho de ma douleur se mua en prières.

Birthday 2eme épisode

Waouhh…

Même le facteur était étonné en m’apportant ces paquets pour le deuxième jour consécutif.

ET moi donc !

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J’ai encore eu beaucoup de plaisir et d’émotion à deballer les colis déposés pour la 2eme fois. J’ai évité de verser  des larmes mes colocataites étaient autour de moi. faut pas déconner quand même.

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Mais quel bonheur !

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Et le choix des livres bravo

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Et pi alors de quoi remplir ma panse de jouisseur

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Et de me couvrir si le froid est top vif

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et puis après avoir mangé il me reste à lire

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Merci à tous (le seul homme l’emporte)

Je remercie en vrac ce soir : Syl, Celestine, Pat, Dominique, Marlaguette et bein évidemment Asphodèle. En espérant n’avoir oublié personne.

Les livres reçus :

-Feroces infirmes retour des pays chauds de Tom Tobbins

-Le fusil de chasse de Yasushi Inoué

-Dojoji de Yukio Mishima

-La maison atlantique de Philippe Besson

-Le livre des prophéties de Glenn Cooper

-Pour que tu ne perdes pas … de Patrick Odiano

-Inventaire des petits plaisirs honteux B. Lalanne et C.Haquet

Une superbe, des tablettes de chocolat, du miel de bourgogne, du foie gras,  etc…

MERCI A TOUTES ET TOUS

J’ai été extrêmement touché par votre générosité et votre gentillesse.  

 

 

Le livre de Byul

Livre 1

Cette fille je l’ai croisée la première fois aux Tuileries. Assise sur une chaise en fer, les pieds nus reposants sur la bordure du grand bassin. Elle geekait, le OnePlus à la main. Placé un peu plus loin, je la regardais faire. J’essayais de deviner son regard caché derrière ses grosses lunettes de soleil infranchissables. Une Chupa Chups coca roulait d’un bout à l’autre de ses lèvres. Ses cheveux longs brillaient au soleil. De son short blanc en jean deux longues jambes s’échappaient, légèrement dorées.
Derrière mes lunettes, je ne pouvais m’empêcher de la fixer. Elle m’éblouissait. Je cherchais en vain comment l’aborder.
Pour l’heure, j’étais figé tel un cobra docile comme si elle jouait un air de flûte qui m’enchantait. Je n’osais enlever mes lunettes de peur qu’elle me surprenne. Sous ses doigts agiles le clavier s’activait. Elle levait rarement la tête, savait à l’avance ce qu’elle devait répondre. Seule la sucette naviguait de gauche à droite de sa bouche et peut-être ses yeux mais je ne les voyais pas.
Je sortis mon Samsung que j’affichais bien haut devant moi et remuais les doigts comme si moi aussi, j’avais mille choses à raconter. Sauf que je n’avais pas de correspondant, sauf que je n’avais même pas internet et que ce subterfuge n’avait pour seul but que de l’observer, camouflé derrière un petit appareil de moins de cinq pouces.
Il y a parfois des moments où l’on se sent idiot et celui-ci en faisait partie. Avoir une belle fille en ligne de mire peut être l’excuse à tout un tas de comportements irrationnels. Néanmoins le gars à côté de moi semblait halluciner, sa tête oscillait de mon portable à mon visage, et son air interloqué en disant long sur sa façon de penser. Je souris lorsqu’il s’accroupit derrière la chaise, son visage à côté du mien et qu’il me dit : « Oh she’s really beautiful ! » Je le regardais en écarquillant les yeux faisant mine de n’avoir pas compris un seul mot de ce qu’il disait. Il se releva dépité, attrapa son sac à dos et s’en alla.
Je n’avais pas envie de partager ce bonheur fugace avec un inconnu. Et mon anglais étant un peu limité je préférais passer pour un français complètement nul dans la langue de Shakespeare que passer pour un français qui se la joue et parle un anglais compréhensible que par lui-même.

Elle regardait le gars de l’autre côté, elle avait remarqué son manège depuis un certain temps. Les hommes, elle connaissait. Le bon Dieu lui avait fourni tous les avantages possibles et depuis longtemps jeunes et moins jeunes tournaient autour d’elle avec une élégance ou une grossièreté qu’elle avait appris à gérer.
Elle échangeait des messages avec sa colocataire, en pause à cette heure là. C’était une vieille habitude, elles se connaissaient depuis si longtemps, sœurs d’adoption en quelque sorte.
Elle esquissa un sourire lorsqu’il leva son portable à hauteur de ses yeux et qu’il fit semblant de passer un message. Elle écrivit à Yeon :
« Si tu voyais le mec de l’autre côté du bassin, il se cache derrière son portable pour me matter, je suis pliée de rire.
— Lol. Il est beau au moins ?
— Ça va ! »
La Chupa Chups remuait sur sa langue, d’un côté à l’autre de ses lèvres. Elle en appréciait le goût et très tôt elle avait compris la fascination qu’elle exerçait sur les mecs avec cette gestuelle.
Le grand type qu’elle avait vu parler avec sa cible s’approcha et lui baragouina un bonjour en anglais auquel elle répondit dans une langue qu’il ne comprit pas, sans même le regarder. Il insista, interloqué que toute la planète ne saisisse pas son langage. Agacée elle répliqua, toujours dans son idiome : « Mon petit bonhomme, avant de voyager il serait bien d’apprendre quelques mots dans la langue du pays dans lequel tu te rends. »
Elle eut envie de sourire mais qu’elle le fit et il serait rester collé à ses basques, ce qu’elle ne souhaitait pas.

J’étais énervé quand je vis que le gars se dirigeait droit vers elle. Je lui adressais mentalement toute la panoplie de noms d’oiseaux que je ne connaissais et je la répétais deux fois de suite comme une incantation.
Il s’agenouilla près d’elle comme il le fit avec moi pour lui parler. Elle répondit sans détourner la tête, sans même le regarder. Lorsqu’il se redressa puis se dirigea vers la place de Concorde. J’étais heureux.
Je le fus moins lorsqu’elle se leva, regrettant déjà que l’instant magique fut terminé et me houspillant de n’avoir pas appliqué la même méthode que lui. Puis soudain mes pensées s’assombrirent comme le ciel d’ailleurs.
Et si elle le suivait !
De grosses gouttes se mirent à tomber. Je les regardais s’écraser dans l’eau devenue noire du bassin en dépliant mon immense parapluie. J’avais prévu l’incident en consultant le site de la météo et chose curieuse à un poil près, l’ingénieur prévoyait la plage horaire de la turbulence.
Je décollais mes pieds du rebord du bassin pour les rapatrier sous mes fesses, exercice périlleux s’il en est, ma souplesse légendaire est reconnue et fait l’objet des sarcasmes de mes proches. Je baissais le parapluie au maximum pour m’isoler complètement de ce monde qui me rendait triste mais en fait je ne voulais surtout voir qu’elle allait rejoindre le gars.
« Toc, toc, toc, il y a une place moi ? » je regardais la paire de jambes à côté de moi, seule partie du corps qu’il m’était possible de deviner dans la position fœtale dans laquelle je m’étais installé.
En moins de temps qu’il n’en faut j’étais debout, lui griffant malencontreusement le visage d’une baleine du parapluie. Je contemplais de près, celle que j’avais vue de loin. Elle approcha une chaise de la mienne, s’installa, repliant les jambes de la même manière que moi puis m’implora : « Tu me fais une petite place ? ». Je partageai puis la zieutai, la dévisageai, la respirai, la déshabillai du regard, les mots coincés au fond de la gorge foudroyé par l’émotion. Sur ses lunettes noires les gouttes glissaient sans découvrir ses yeux. « T’as un Kleenex ? » demanda-t-elle en enlevant ses lunettes.
Machinalement je plongeai la main dans mon sac, enfin j’essayai puisque j’étais incapable de quitter ses yeux. Je ne trouvais pas la fermeture parce que je ne voulais pas rompre l’instant, j’étais fasciné. Sans lunettes elle était encore plus belle, plus vraie, plus nue. Je cherchais vainement dans ma tête un superlatif que je ne trouvais pas.
« Réponds » continua-t-elle.
Je n’avais toujours pas ouvert la bouche, pas répondu. J’écoutais sa voix grave avec plaisir. « T’es muet ? interrogea-t-elle. Le zip de la fermeture coulissa enfin et j’attrapai le paquet de mouchoirs que je lui tendis comme un trophée, comme si je lui offrais une bague de chez Van Cleef et Arpels.
« Vince » dis-je.
Elle semblait ne pas avoir compris, je répétai :
« Je m’appelle Vince.
— Je suis pas sourde. Moi c’est Byul. T’as pas besoin de savoir d’où je viens, c’est sans importance.
— T’es magnifique ! La phrase m’échappa.
— Pourquoi ? interrogea-t-elle. »
La question me déconcerta tout d’abord. Elle ne souriait pas. Visiblement elle attendait une réponse. Je parlai de mille choses, de Brigitte Bardot à Shu Qi, de la beauté en général sans comprendre ce qu’elle voulait entendre. Quand j’eus fini, elle recommença :
 » Pourquoi ? T’as pas répondu à ma question. »
Je débitai tout à trac :
 » Tu es magnifique.
— Tu l’as déjà dit.
— Tu as un joli visage. Des yeux magnifiques. J’aime ta couleur de peau. Tu as de beaux cheveux. Tu es grande. Tes yeux sont… En un mot comme en deux tu es adorable. »
Elle écouta ma litanie impassible. Puis elle débita la sienne, parant à mes questions :
« Je suis arrivée en France à l’âge d’un an, je suis française, bisexuelle. En un mot le sexe est mon crédo. »
J’étais naturellement un mec un peu réservé et qu’elle m’annonça les choses ainsi me fit tout drôle. Sa franchise surprenante me dérouta.
« Je suis catholique, précisa-t-elle.
— Je suis chrétien aussi, annonçai-je fièrement.
— Tu écoutes ce qu’on te dit ?
— Oui bien sûr !
— Je t’ai dit que j’étais chrétienne ?
— … !
— Réponds !
— Tu m’as dit que tu étais catholique.
— Et c’est pas la même chose. Moi je crois aux écrits, je lis la bible. Le Pape, l’église tout ça je m’en fous et je connais pas.
— Je crois comprendre dis-je. Les orthodoxes, les anglicans, les protestants, les chrétiens sont tous des catholiques et pas l’inverse.
— Eh ben tu comprends pas vite ! conclut-elle.
En quelques mots je venais de découvrir qui était Byul. Un caractère bien trempé, une fille avec des idées bien arrêtées qui ne s’embarrasse pas de principe.
— On va chez toi où à l’hôtel ?

J’étais allongé sur mon lit à chatter avec Byul. Dehors il pleuvait et l’automne jouait à cache-cache avec l’été. Un jour la température grimpait à 21° pour aussitôt s’écrouler à 15° sous la pluie.
Dans mon lit, je conservais jalousement l’odeur et l’empreinte de cette fille. Elle me dit aimer le sexe et j’en avais eu la preuve. Aimer n’était sans doute pas le mot le plus adapté, il faudrait inventer un extra hyper superlatif. Cette fille c’était de la dynamite, elle ronronnait comme un V8. En tout cas j’étais sur les rotules, vidé au sens propre comme au figuré.
Le problème fut que j’avais des prédispositions pour m’attacher. Elle l’a vite compris et me l’a déconseillé. « Je suis incapable d’aimer m’a-t-elle dit. C’est pas dans mon plan de vie. Pour le moment, je profite, je m’amuse et à trente ans je me rangerai. »
Ça ne voulait pas dire qu’elle ne voulait pas de relation suivie mais ça ne voulait pas dire le contraire non plus. Elle m’informait en me disant aujourd’hui on est ensemble mais demain…
Non seulement j’étais éreinté mais sonné en plus. Soit la relation se cantonnait à une relation physique qu’elle avait désirée soit elle se prolongeait le temps qu’elle le déciderait. Je n’avais pas pour habitude d’avoir toutes les cartes entre les mains lorsqu’une relation débutait mais là j’en savais l’issue. La fin était programmée depuis le début.
En partant elle me demanda sur quel site de Chat je sévissais et quel était mon pseudo, c’était plutôt de bon augure. Je voulais y croire, pourrait-elle changer d’idée ?
Momentanément nos rapports évoluaient dans le sens que je souhaitais mais cette épée de Damoclès que je sentais sur ma tête me déplaisait.

Elle demanda à Yeon, sa coloc, de venir la chercher en voiture. En l’attendant au coin de la rue elle se mit à rêvasser. Ce mec fut surprenant. Elle prit beaucoup de plaisir, il ne se conduit pas en égoïste comme certains. Il s’occupa d’elle avec infiniment de douceur même si pourtant elle aimait être un peu bousculée.
Elle fut d’abord ennuyée lorsqu’elle baissa son Calvin Klein. Le gabarit lui semblait peu compatible avec ses desiderata. Tant pis convint-elle je ferai avec. Mais elle fut surprise d’emblée le type avait quatre mains, deux langues et quarante doigts et sollicitait chaque fois une partie de son corps qu’elle n’attendait pas. Il était magique.
Elle se sentit répondre, devancer, s’offrir. Elle demanda, insinua, quémanda juste avant qu’il n’exécute. Elle se cabra, inconsciente, désireuse et comblée, feula, soupira puis s’allongea sur le lit, aussi étonnée que souriante.

Sedna et Vincent

18535J’ai repris ici la totalité de mon histoire pour enfin la terminer. Il y a environ 4 836 mots et 28 000 caractères.

Elle navigue sur le site aussi quand il décide de lui envoyer un message. Elle répond aussitôt. La conversation du bout des doigts s’enclenche. Si elle ne partage aucun de ses centres d’intérêt, et vice et versa, elle est néanmoins agréable et l’échange digital bat son plein. Ça le fait rire de murmurer ses phrases avant de les écrire comme il s’agissait d’un dialogue de sourds. La discussion va bon train cependant.
S’il n’attache que peu d’importance aux critères de beauté il a néanmoins des codes susceptibles d’éveiller ses sens. Ses intimes pensées le font sourire mais il est n’est pas l’heure de les partager avec elle, pourtant il éclate de rire. Il rigole comme un imbécile en de demandant si Google envisage de développer les phéromones binaires.
Lorsqu’il consulte l’espace réservé aux photos de la demoiselle un cri d’admiration lui échappe. Elle est tout simplement magnifique, splendide. Ses yeux font plusieurs fois le tour dans ses orbites à tel point qu’il vacille. Un peu ahuri, il tourne la tête machinalement afin de s’assurer que Brad Pitt n’est pas derrière lui. Il attrape son Smartphone coupe la voix à Coldplay qui chante en boucle depuis un moment, éteint le téléphone pour regarder son propre visage sur l’écran noir.
Il est interloqué. Il a l’impression de rester des heures à passer de l’écran de l’ordinateur à celui de son téléphone comme s’il venait de péter une durite.
Le clic du message qui vient d’arriver le sort de l’étrange manège convulsif dans lequel il semblait se perdre.
« Coucou t’es là ? demande-t-elle. » Aussitôt ses doigts reprennent la danse du clavier, il écrit « Oui je regardais tes photos » avant d’enchaîner maladroitement par « T’es belle tu sais » qu’il regrette aussitôt. Elle acquiesce avec une politesse laconique qu’il ressent. Il se trouve idiot. À son âge elle le sait déjà. D’autres lui ont déjà dit avant. Si lui, vient d’en faire la découverte il se doute bien que ce sempiternel refrain peut être à double tranchant.
« Tu es parti ? interroge-t-elle. » Il répond par la négative. Tente de continuer le dialogue tout en cherchant dans sa tête comment il pourrait s’excuser sans le faire vraiment. Il ne trouve pas. Ils discutent à bâtons rompus. Surpris il se lève, soulève son écran, se rassied ; dubitatif il se demande si le géant américain ne lui a pas joué un tour, il a l’impression de sentir un parfum enivrant.
Les mots se succèdent jusqu’à deux heures du matin. Les bye et ciao clôturent la session sans promesse de lendemain.
Il sort fumer une cigarette sur le balcon. À cette heure-ci la rue est calme. Le ciel est d’un bleu profond. Il y a plein d’étoiles qu’il fixe mais il n’en connaît aucune par son nom. La fumée qu’il expire à une jolie couleur mais invariablement il finit par tousser. Il imagine qu’une étoile filante vient de passer, de là à faire une relation de cause à effet c’est un pas qu’il franchit aisément.
Il rentre dans le salon. Va boire un verre d’eau dans la cuisine puis revient. Il s’assoit dans le vieux sofa que sa mère lui a donné. Prend l’une des télécommandes. Allume la télévision. Zappe. Il regarde bêtement les programmes défiler dans une succession de sons hétéroclites : début de mot, note de musique inachevée… Puis il zappe de plus en vite, les images se suivent très vite à tel point qu’une gazelle saute sur le plateau des informations de la nuit où que le gangster qui court, dans un film en noir et blanc, finit sa course dans un bol de Nescafé.
C’est son sport favori la zapette, c’est insolite et ça le détend. Mais ce soir il ne voit qu’elle sur son écran de télé. Ses cheveux teints, frisés, et son petit minois reposant sur ses mains.
Il s’endort sur le sofa sans même se déshabiller. Deux ou trois fois il ouvre les yeux avec l’impression qu’elle le regarde au travers du téléviseur. Il s’inquiète. Il n’a chatté que deux heures avec elle et de rien qui puisse envisager le moindre espoir.
Il se trouve un peu puéril comme s’il nageait encore en pleine adolescence, quittée pourtant depuis près d’une décennie. Elle est jolie certes mais il sent qu’il va au casse-pipe.
Pourtant lorsqu’il allume la machine infernale, se connecte au site. Elle lui a laissé deux messages anodins : « Coucou Vincent. » puis « Je te souhaite une belle journée. »
Il passe la souris sur la barre des tâches pour s’assurer de l’heure, il n’est que 6 heures 32. Il se creuse la tête pour chercher un autre sens à ses phrases insignifiantes. Se peut-il que ?
Il ne sait pas finir sa phrase. Il ne veut pas. Il a l’impression que l’ami corazón s’emballe inutilement puis un sourire se dessine sur ses lèvres. Il fonce sous la douche, arrachant plus qu’il n’enlève ses vêtements qu’il abandonne dans le couloir.
Il siffle sous l’aspersion. Se lave là tête trois fois avant de réaliser qu’il est complètement rasé. Lorsqu’il arrive au bureau ses collègues le trouvent hilare et s’étonnent.
La journée passe lentement, trop lentement. Il est impatient de rentrer chez lui et de se connecter. C’est sans prêter attention à l’averse qui mouille et déforme sa veste, qu’il affronte l’intempérie. Il court dans la rue. Bouscule les gens dans le métro sans le vouloir mais sans même s’excuser.
Il est sur Sedna, la dixième planète identifiée dans le système solaire, il vient de lire ça à la Une du quotidien du soir. Il s’arrête pour le parcourir : Sedna est le nom d’une déesse Inuit des océans.
C’est drôle comme ce nom lui dit quelque chose.
Il rêve. Il est seul avec elle. Il regarde son visage, ses cheveux châtains, frisés, son minois posé sur ses mains, ses yeux en amande qui le fixent.
Il imagine effleurer ses joues de sa main, se pencher pour l’embrasser…
C’est décidé, se dit-il, ce soir je vais la voir en webcam. Il achète un menu à emporter au fast-food, grimpe les escaliers quatre à quatre, se jette dans son fauteuil préféré, met l’ordinateur en route, déballe son hamburger qu’il mord à pleine dents pendant que la machine se met en toute lentement, trop lentement.
Le site s’ouvre, et un petit « 1 » de couleur rouge s’affiche, il a un message. Il clique. Sedna, puisqu’il s’agit d’elle, lui a laissé un autre message : « Avant toute chose, écrit-elle, je suis un transsexuel convoité et j’aimerai aller plus loin avec toi. »
Il se lève d’un coup, renverse le fauteuil, arrache la prise de l’ordinateur, écrase les frites tombées par terre, tape du poing dans le mur et crie de douleur.

Il considère les dégâts. Relève la chaise. Ramasse les frites en mangeant celles du dessus. Il se regarde dans la glace puis s’interroge : « Quelle est cette colère, pourquoi cette réaction ? »
Il se contemple de haut, ne s’accordant aucune concession. Suspend sa veste trempée sur un cintre et se débarrasse du reste. Il se regarde nu faisant fi de ses imperfections, son corps lui convient.
S’il repense à Sylvia qui fut la dernière en date son corps s’éveille. S’il y superpose le visage de cette Sedna. C’est comme si l’Etna se réveillait. Il fonce sous la douche. Ouvre l’eau froide. Se jette dessous en poussant des cris d’Homo-sapiens en rut. Il sent la chaleur le quitter mais son émoi persiste.
« Merde, merde, merde, se dit-il. » Pour se justifier il convient que son corps est bien plus entraîné à l’action que son cerveau à la réflexion. Pourtant cette pensée ne le satisfait pas.
Il saute dans un jeans, enfile un t-shirt et décide d’aller passer un moment à la Rhumerie, l’endroit est convivial, l’alcool coule et un verre ou deux facilitent les rencontres.
Il sait que le Planteur lui fait tourner la tête. Cependant il choisit de réduire à néant les pensées confuses qui le harcèlent, de les noyer dans les vertiges de l’alcool.
Assis en terrasse, il sirote le liquide qui lui descend dans la gorge. Il a exigé du barman un rhum à 62° qu’il sentira bruler dans ses entrailles.
Déjà le feu lui monte aux joues.
Il boit sans soif, pour oublier. Le goût de la cannelle lui caresse les papilles tandis que l’alcool de canne à sucre est comme la lave d’un volcan en effusion s’insinuant dans les méandres de ses viscères.
Le serveur s’approche, lui adresse un sourire condescendant fleurant bon le pourboire espéré. Il renouvèle la commande qu’il apporte cinq minutes plus tard Encaisse la consommation acquittée d’un billet de 100 qui le rend tout sourire.
La petite brune en face de Vince croise et décroise les jambes en un ballet langoureux. Elle a même agité son index pour qu’il la rejoigne à sa table. Il n’a rien vu. Elle déteste qu’on l’ignore.
Elle s’impose, s’assoit face à lui en claquant son verre vide sur la table en marbre pour attirer son attention. Il baisse les yeux, sourit machinalement comme si la démarche était coutumière.
Puis il tourne de nouveau son regard à travers la baie vitrée. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’il se rend compte qu’elle lui caresse la main.
Il n’a pas envie de parler, elle non plus. Il lui propose néanmoins un verre qu’elle commande d’une voix volontaire au dessus du brouhaha de l’endroit.
La terrasse est pleine, le café est prisé. Elle lui dit s’appeler Catherine lorsqu’il pose son regard sur elle. Il n’avait pas encore remarqué ses yeux en amande. Soudain son intérêt décuple. Il essaie de tout voir d’un seul coup, presque, sans ostentation.
De la forme de son visage au galbe de ses hanches. Il tente d’épouser discrètement ses formes. Elle le laisse faire, recule la chaise pour montrer ses jambes qui dépassent d’un short en jeans. Elle dégrafe un bouton de son chemisier pour exhiber la dentelle d’un soutien-gorge blanc.
Il plonge les yeux dans l’invitation. D’un geste négligeant elle frôle l’échancrure de son corsage. Il suit le doigt comme il suivrait le balancier d’un pendule chez un psychothérapeute mais sans l’état hypnotique recherché.
Elle est jolie, mince et grande. Elle semble détenir toutes les promesses que le créateur a façonné pour que l’Homo-Erectus succombe à la tentation.
Elle prend sa main qu’elle guide sur les pans découverts de sa poitrine. La carnation, est douce, il murmure son plaisir. Elle est sans complexe, glisse la main de celui qu’elle convoite à l’intérieur de sa lingerie. Sous les doigts inconnus son corps exulte.
Il touche la peau. Il ne sait pas si le rhum annihile les sens mais il se sent lamentable. Pourtant il la suit quand elle l’entraîne dans les toilettes pour dames. Dès qu’elle referme la porte sur lui, il suffoque, panique, se débat contre des moulins imaginaires. Il la repousse sans ménagement. Ce que sa tête désire, son corps le refuse.
Il sort échevelé du réduit.
Dans la glace il a l’impression de se voir en Courbet, hagard, plein d’étonnement et de violence dans le mouvement.
Il se hait, glisse un billet sur le plateau du serveur qui le regarde d’un air concupiscent. Il s’enfuit du bistrot, presque en courant comme s’il devait éviter que la peste ne le rattrape.
Il pleut, il fait noir. Les gouttes le transpercent pour la seconde fois de la journée. Il courbe le dos, supporte l’orage d’été. Ses vêtements lui collent à la peau, Sur les pavés mouillés, dans la lumière du réverbère, ne se dessine que le visage de Sedna.
Il se sent perdu. Se signe même, présumant que ce ituel le protège. Le désir l’assaille.
Son corps réclame ce que son éducation repousse.

Il court dans la nuit. Se dirige vers les bords du fleuve, il est aussi gris que les nuages qui se déversent. Il dévale les marches quatre à quatre. Stoppe au bord du quai comme un équilibriste. Se contorsionne puis se rattrape, à deux doigts de faire un plongeon puis hurle : « Sednaaa » dans la nuit.
La plainte déchire l’obscurité.
Seule la rivière clapote au gré des courants, sous la pluie éparse tandis qu’une voix éraillée, sortie de l’ombre, hurle : « Tu peux pas fermer ta gueule ! »
Vincent s’assoit sur l’appontement, faisant fi de l’avertissement, les pieds dans le vide, le visage hagard. Finalement l’alcool qu’il a consommé n’aura pas servi d’exutoire mais de brûleur à sentiments.
Il n’imagine pas un seul instant que celui qu’il a tiré de son sommeil, aviné à souhait, pourrait le mettre en danger. La forme enveloppée dans un long manteau s’avance silencieusement derrière lui. Sa haute stature est impressionnante. Ses longs cheveux frisés et décoiffés tombant sur ses épaules dissimulent un nez proéminent. Il danse plus qu’il ne marche, glissant sur l’asphalte, volant presque comme un rapace qui guette sa proie.
L’homme s’arrête. Ôte le manteau qui le gêne pour éviter tout frottement. Puis reprend sa traque. Il veut agir vite mais sans précipitation. Frapper d’un seul coup. Avec pour ambition de réussir. S’approcher lentement et opérer par surprise tel est son objectif.
Vincent balance ses pieds dans le vide, les deux bras le long du corps, les mains serrées à plat crispées sur les pierres froides de l’estacade. Tout à sa réflexion. Inconscient de ce qui se trame derrière lui. Il se pose des questions dont il ne connait pas les réponses.
Puis…
D’une détente surprenante, avec une force incroyable, l’homme attrape le garçon sous les aisselles, le soulève et recule avec lui.
Vincent ne réalise qu’après-coup ce qu’il vient de se passer ; Il jure, s’énerve. Cherche des noises au colosse qui le tient en respect à bout de bras et qui, d’une voix éraillée, essoufflée mais calme lance simplement : « Je n’allais pas te laisser faire des conneries. »
Le temps que l’information pénètre le cerveau du jeune homme. Il se débat encore plusieurs secondes comme un pantin désarticulé quand après un dernier soubresaut il se calme. Il répond : « Je n’avais pas l’intention d’en faire. »
L’homme le lâche, le regarde, incertain, puis s’en retourne vers l’obscurité, ramasser son manteau et s’installer sur le banc, masqué dans la nuit. Vincent le suit. Se campe devant lui. Le remercie néanmoins tout en lui expliquant qu’il voulait juste réfléchir, qu’il est embringué dans une histoire qui trouble sa moralité.
L’homme tourne la tête vers lui, l’écoute mais ne dit mot. Il n’a pas pour habitude de parler ni de porter de jugement. Il se tait.
Un silence lourd s’installe. L’un et l’autre regarde le fleuve. Les confidences de Vincent ne franchissent pas ses lèvres et l’homme ne tend pas l’oreille pour les recevoir. S’il sort une cigarette de ses poches, il en propose une à l’homme. Et lorsque l’homme sort une bouteille et deux gobelets en plastique, Vincent accepte sans rien dire.
Ce jeu d’échange, sans paroles, est un moment d’une rare intensité. Pourtant Vincent a semblé entendre le mot : « Femme. » Il tourne la tête vers son compagnon qui n’a pas changé de position, qui ne le regarde pas, qui porte à sa bouche alternativement sa cigarette ou son gobelet. Il répond dans le même murmure que l’air, dans le même temps que les clapotis de l’eau : « Mi-homme, mi-femme ou l’inverse. »
Le colosse a suspendu son geste, le bras en l’air devant la bouche, la fumée bleutée de la cigarette filant tout droit vers le ciel pour se noyer dans l’air. Puis le mouvement à repris, le filtre a atterri sur les lèvres, l’aspiration a fait rougir le tabac, l’odeur s’est dissipée et la main à rejoint le genou sur laquelle elle s’est posée, sans aucune parole.
Le silence a repris ses droits. L’eau a suivi son cours. Le ciel s’est assombri un peu plus. Lorsque Vincent s’est levé pour rentrer chez lui, l’homme a simplement dit : « fais ce qui te semble bon sans t’occuper des autres. »

Il est deux heures du matin lorsqu’il arrive chez lui. Il est fourbu. Déjà en manque de sommeil la nuit passée, celle-ci s’annonce tronquée également. Il repense à la fille de la Rhumerie qu’il a plantée malproprement. Il a été vraiment godiche. Il n’aurait jamais dû la suivre mais décliner l’invitation courtoisement.
C’est une maladresse qui l’ennuie mais il est tellement perturbé. Son smartphone bourdonne. L’enveloppe fermée d’un mail surgit sur l’écran de l’appareil. Il clique pour l’ouvrir. Sedna lui a laissé un message. Pour le lire il doit se connecter.
Il est indécis. Il voudrait savoir ce qu’elle dit mais il est perturbé à l’idée de lui parler. Il a chaud. D’habitude il est insensible à ce genre d’émotion. À situation particulière, réaction particulière.
Vince s’assoit sur le sofa, la tablette à la main, prêt à enclencher le bouton « On ». Face à la télé. Comme la nuit dernière. En hologramme se dessine le visage de Sedna. Il est fasciné. Son cerveau lui joue des tours. Il déraille.
Il se lève d’un bon. Pose la tablette sur le divan. Se dirige vers la salle de bain. Ôte son t-shirt. Attrape la douche. Ouvre l’eau froide. Se penche sur la baignoire. Et s’asperge.
La froidure de l’eau le fait gémir. Il sursaute. Se redresse. Lâche la douche qui tournoie. Arrose partout. Quand enfin il ferme le robinet, la pièce est trempée. Son pantalon et ses chaussettes sont gorgées d’eau. L’eau suinte sur les murs.
Son vocabulaire ordurier franchit ses lèvres. Il en lâche un chapelet. Débite des noms d’oiseaux. Mais pour l’heure il se déshabille. S’essuie. Éructe. Va chercher le seau et lajeune-femme-sous-la-douche-161232_L serpillière dans la cuisine. Ses pieds mouillés imbibent la moquette rouge. Dans un sens. Puis dans l’autre. Il éponge. Rince. Étreint ses vêtements.
Il se regarde dans la glace enfin sèche. La colère est partie. Si tout à l’heure l’envie de se gifler lui est venue. Il en sourit. Nettoyer la salle de bain à plus de deux heures du matin est plutôt cocasse.
Quant aux marques de pas, il les sècherait bien avec son petit radiateur soufflant mais à cette heure-ci !
Il allume la tablette. Ouvre le site. Sedna est hors-ligne. Il clique sur l’icône et lit : « Je suis quelqu’un de différent, pour autant je suis capable d’aimer. Je vais être directe, tu me plais. J’ai envie de te rencontrer et de tomber amoureuse. J’ai eu le coup de foudre la nuit dernière. Je te propose une autre façon d’aimer. »
Il regarde le texte. Figé. Il ne sait pas quoi répondre à ça. Il est dans les mêmes dispositions mais sa morale s’y oppose.
Il ouvre un autre onglet. Tape « Transs » dans la barre Google puis clique sur les images. Des corps nus apparaissent. Il est stupéfait. Il ouvre de grands yeux. Il ne se sent pas honteux pour autant à lorgner ce troisième sexe.
Par acquit de conscience il ouvre un autre onglet. Tape « Hommes nus » puis images. Mais là les photos qui s’affichent le dérangent. Il ferme l’onglet. Un regard curieux sur l’autre page toujours ouverte. Par curiosité il fait descendre l’ascenseur. Les images se suivent. Il n’est pas aussi choqué qu’il le pensait de prime abord.
Il excite son imagination, s’arrête sur une jolie photo puis superpose le visage de Sedna. La réaction est immédiate. Son propre émoi le surprend.
La nuit s’enfuit. Le ciel est obscur. Il fait coulisser la baie vitrée pour donner de l’air. Prend la boite de Nespresso, opte pour une capsule de « décaffeinato » à cette heure-ci. Le café coule onctueux, les gouttes tombent dans l’ombre noire et rebondissent en un petit geyser qui éclabousse les bords. Vince prend la tasse, son paquet de Marlboro, regarde la tablette encore allumée puis sort sur le balcon pour fumer une cigarette. Il fait frais. Il se vautre dans le transat sur le balcon.
Il se demande s’il est sage d’aller dormir maintenant. Il téléphonera à son patron demain matin pour l’informer d’une quelconque indisposition. Pour l’heure Sedna l’obsède. Il ne peut laisser son message sans réponse et d’autre part elle lui a fait tourner la tête.
Que peut-il lui dire ?
Il entre dans le salon. Saisit sa tablette. Prend une bouteille d’eau. Ressort sur le balcon. S’installe dans le transat. Allume une cigarette. Expulse la fumée qu’il suit des yeux.
Ses doigts caressent le clavier virtuel. Il pèse ses mots avant de les écrire. « Situation nouvelle pour moi. Mon corps dit oui à ce que mon éducation refoule. Cependant je ne suis pas prêt à n’importe quoi. » Il s’interrompt, réfléchit. « Je suis intéressé par une rencontre réelle. Cependant j’ignore quelle sera ma réaction. Voyons-nous demain à 17 heures à la rhumerie. »
La lumière verte clignote. Un message supersonique apparaît : « J’y serai ».
La lumière rouge s’allume de nouveau.

Lorsque le réveil sonne il dort profondément. Il appuie à l’aveuglette sur les touches pour l’éteindre. Se tourne dans le lit. S’enroule dans les draps et cache sa tête sous l’oreiller.
Il laisse le rappel battre la mesure pourtant sa tête est en bouillie. Péniblement il s’extrait de sa torpeur. Tire rageusement sur le fil électrique qu’il arrache de la prise. Et se retourne pour continuer sa nuit.
Sedna hante ses rêves. Les quelques dizaines de photos qu’il a vues d’elle sont gravées dans sa mémoire. Son sourire enjôleur d’abord puis des photos dans un short très échancré. D’autres laissant deviner les contours d’une jolie poitrine. Il en convient elle est particulièrement féminine. Il a zoomé sur les photos, celles en short et celles en legging à la recherche d’une proéminence peu flatteuse mais en vain. Elle est même photographiée en maillot de bains assise les jambes serrées au bord de la piscine et ressemble autant à une fille que n’importe quelle autre fille. Avec un petit quelque chose en plus… dans le visage peut-être !
Il s’est endormi en cherchant des renseignements sur ce troisième sexe. En lisant des blogs, des récits, des parcours, des avis médicaux. Il a lu bien des choses à propos des œstrogènes, des anti-androgènes et des conséquences à l’usage. Il a même été jusqu’à regarder des films en streaming. Choqué mais curieux. Sans aucun jugement.
Pour l’instant, les yeux fermés, en plein sommeil, n’importe qui peut imaginer ce à quoi il pense. Son sourire béat en dit long tandis qu’une autre manifestation de son élan est largement perceptible.
Mais il émerge d’un seul coup. Il fait soleil.
Sa tablette en veille annonce 10 heures 30. Il bondit du lit aussi vite qu’un clown sortirait de sa boite. Cherche son téléphone dans la poche de son jean, sous le lit. Dans la cuisine. Sur le sofa. Il ouvre la fenêtre du balcon, dans toute son indécence, l’appareil est là sur la chaise longue. Il s’en saisit, le vibreur annonce aussitôt l’arrivée d’un message.
Il écoute la voix de ses collègues qui le cherchent. De son patron qui lui rappelle ses obligations. Lui qui voulait se réveiller tôt, c’est raté !
Il fonce dans les toilettes vider sa vessie. Se précipite devant la glace pour contempler son visage du jour. Passe la main sur ses joues pour résorber les sillons creusés par les draps. Aplati ses cheveux rebelles. Se brosse les dents en réfléchissant.
Puis il appelle en premier son collègue pour prendre la température du bureau. Il lui raconte brièvement qu’il a un peu oublié de dormir et qu’il ne viendra pas travailler. Qu’il va appeler Janin aussitôt après lui pour dire qu’il est « out »
Sitôt les obligations terminées. Il consulte les mails de la nuit. Un autre message de Sedna est arrivé. Il ouvre le site depuis son Ipad découvre les quelques mots : « J’ai hâte d’être à ce soir. » accompagné d’un smiley très rigolo.
Il esquisse un sourire. Ne peut s’empêcher à nouveau de regarder les photos pour se rassurer. Elle est belle. Mais…
Sous la douche il se frotte le cuir chevelu de façon compulsive comme s’il voulait faire déguerpir les idées qui le rongent. Ses gestes sont saccadés. Il essaie de s’imaginer avec Sedna dans la cabine mais visiblement une anomalie le dérange. Si sa tête répond à certaines sollicitations son corps se hérisse. Le désir et l’amour sont irréfléchis, pense-t-il.
Il essaie de se figurer une relation amoureuse avec elle pourtant il y a toujours un moment où ça bloque. C’est évidemment chaque fois dans l’intimité quand il devrait baisser le dernier rempart que le film casse.
Plus l’heure tourne, plus l’angoisse se fait. Plus la fébrilité le bouscule. Plus ses pensées deviennent incohérentes. À situation exceptionnelle, comportement exceptionnel.
À 16 h 45 il est installé à la terrasse de la rhumerie, devant un café fumant. Il s’est orienté vers la rue, aux aguets. Le regard vers le passage clouté, il guette. Il cherche à la voir avant qu’elle ne le voie.
Elle apparait au moment où il porte la tasse à ses lèvres, il tremble un peu, verse le café dans la soucoupe. Elle le reconnait aussi, sourit, s’approche, refuse la main qu’il lui tend pour effleurer ses lèvres, des siennes.
Il est coi, subjugué. Le feu aux joues, incapable de prononcer le moindre mot. Elle est sûre de son charme, se sait irrésistible. Elle s’assoit, le tire par la main pour qu’il en fasse autant.
Gauche, il ne la lâche plus. « Je suis heureux » dit-il ; Les mots, tout à trac, ont franchi l’interdit de ses lèvres.
Elle a compris sa fébrilité et s’en amuse. Elle sait bien que ses paroles ne reflètent pas l’entière réalité. Elle a remarqué qu’il était particulièrement tendu et lui pardonne volontiers. La situation est exceptionnelle, elle en est bien consciente. Ce n’est pas la première fois qu’elle se trouve confrontée à ce cas de figure.
Lui est rouge, sa mâchoire est crispée. Il essaie de s’excuser pour cette étrange confidence sans pouvoir articuler le moindre mot. Il la regarde avec des yeux de chien battu essayant d’exorciser son désarroi.
Le serveur arrive, interroge Sedna du regard, elle opte pour un planteur, une boisson d’homme et lui confirme le même choix d’un signe de tête.
Elle n’a pas lâché sa main. Elle en épouse les contours, en ressent la chaleur qui se dilue au creux de la sienne. Il n’a pas bougé. L’observe sans cesse. Irrité par son propre trouble mais ravi qu’elle soit là.
Il glisse un œil, qui se veut discret sur l’entrejambe de son legging en cuir, elle l’a suivi des yeux sans rien dire. Elle devine son appréhension mais n’a pas pour projet de l’effaroucher. En haut son bustier est échancré laissant deviner des attraits engageants.
Elle doit être naturelle, ne pas minauder.
Vincent à bu la moitié du planteur d’un coup. Peu à peu ses maxillaires se détendent, il se sent bien, prêt à céder du terrain. Ses gestes saccadés jusqu’alors redeviennent posés, lents presque maitrisés.
Il dévisage Sedna d’un air bienveillant. Il sait qu’il va pouvoir tout partager avec elle. Il sait aussi qu’il ira au bout de ses turpitudes qu’elles qu’en soient les conséquences. Le fait de la rencontrer est déjà le signe de l’abdication de sa conscience. Il ne veut plus lutter, peut-être que cette histoire hors-norme sera gage de plénitude et de découverte.
Ils discutent. Partagent des idées. Au jeu de la séduction Sedna est très forte. Dotée d’une intelligence qui le subjugue et d’une gestuelle envoutante, elle le captive. Vincent se laisse guider. Planteur après planteur les paroles s’échappent, les mains mènent leurs propres vies, les yeux évaluent, contournent, caressent.
Il hésitait à lui parler au féminin jugeant le masculin mal approprié puis il s’est lancé sans crainte. Il regarde sa féminité avec bienveillance sans penser à plus tard, ni à demain et encore moins à un autre jour.
Il se sent en osmose avec elle. Il l’écoute, la dévisage, suit les mouvements de ses lèvres quand elle parle. D’un coup il rougit parce que son esprit s’égare et qu’il pense qu’au bout du compte elle est faite comme lui. Il bafouille se perd en confusion tandis qu’elle essaie de le rassurer par des gestes simples.
Lorsque Sedna lui sourit il craque. Il a l’impression que son cœur se gonfle d’un sentiment exceptionnel, singulier.
Plus tard dans l’intimité de l’appartement, elle se donnera à lui. Évitant avec adresse que sa transsexualité puisse l’offusquer. Il se laissera conduire sans regret. En partant au travail le lendemain matin il soulèvera naturellement le drap pour lui caresser les seins, elle s’offrira à sa caresse, l’enchainant de ses bras pour qu’il lui accorde un simple bisou entre épaule et naissance du cou.
Ce jour-là il prend le métro en sifflotant, ne regardant aucune fille sur son passage, subjugué par Sedna. Il sait qu’une barrière a cédé, que d’autres reculeront mais il assume. Le vibreur s’agite dans sa poche, le message est aussi long qu’une promesse : « Dépêche-toi a-t-elle écrit, je t’attends. »

Dernières heures

poyladyboy1Les différentes phases

Vincent   3 Impétus   2  Etna  1 Sedna

Lorsque le réveil sonne il dort profondément. Il appuie à l’aveuglette sur les touches pour l’éteindre. Se tourne dans le lit. S’enroule dans les draps et cache sa tête sous l’oreiller.

Il laisse le rappel battre la mesure pourtant sa tête est en bouillie. Péniblement il s’extrait de sa torpeur. Tire rageusement sur le fil électrique qu’il arrache de la prise. Et se retourne pour continuer sa nuit.

Sedna hante ses rêves. Les quelques dizaines de photos qu’il a vues d’elle sont gravées dans sa mémoire. Son sourire enjôleur d’abord puis des photos dans un short très échancré. D’autres laissant deviner les contours d’une jolie poitrine. Il en convient elle est particulièrement féminine. Il a zoomé sur les photos, celles en short et celles en legging à la recherche d’une proéminence peu flatteuse mais en vain. Elle est même photographiée en maillot de bains assise les jambes serrées au bord de la piscine et ressemble autant à une fille que n’importe quelle autre fille. Avec un petit quelque chose en plus… dans le visage peut-être !

Il s’est endormi en cherchant des renseignements sur ce troisième sexe. En lisant des blogs, des récits, des parcours, des avis médicaux. Il a lu bien des choses à propos des œstrogènes, des anti-androgènes et des conséquences à l’usage. Il a même été jusqu’à regarder des films en streaming. Choqué mais curieux. Sans aucun jugement.

Pour l’instant, les yeux fermés, en plein sommeil, n’importe qui peut imaginer ce à quoi il pense. Son sourire béat en dit long tandis qu’une autre manifestation de son élan est largement perceptible.

Mais il émerge d’un seul coup. Il fait soleil.

Sa tablette en veille annonce 10 heures 30. Il bondit du lit aussi vite qu’un clown sortirait de sa boite. Cherche son téléphone dans la poche de son jean, sous le lit. Dans la cuisine. Sur le sofa. Il ouvre la fenêtre du balcon, dans toute son indécence, l’appareil est là sur la chaise longue. Il s’en saisit, le vibreur annonce aussitôt l’arrivée d’un message.

Il écoute la voix de ses collègues qui le cherchent. De son patron qui lui rappelle ses obligations. Lui qui voulait se réveiller tôt, c’est raté !

Il fonce dans les toilettes vider sa vessie. Se précipite devant la glace pour contempler son visage du jour. Passe la main sur ses joues pour résorber les sillons creusés par les draps. Aplati ses cheveux rebelles. Se brosse les dents en réfléchissant.

Puis il appelle en premier son collègue pour prendre la température du bureau. Il lui raconte brièvement qu’il a un peu oublié de dormir et qu’il ne viendra pas travailler. Qu’il va appeler Janin aussitôt après lui pour dire qu’il est « out »

Sitôt les obligations terminées. Il consulte les mails de la nuit. Un autre message de Sedna est arrivé. Il ouvre le site depuis son Ipad découvre les quelques mots : « J’ai hâte d’être à ce soir. » accompagné d’un smiley tout rigolo.

Il esquisse un sourire. Ne peut s’empêcher à nouveau de regarder les photos pour se rassurer. Elle est belle. Mais…

Sous la douche il se frotte le cuir chevelu de façon compulsive comme s’il voulait faire déguerpir les idées qui le rongent. Ses gestes sont saccadés. Il essaie de s’imaginer avec Sedna dans la cabine mais visiblement une anomalie le dérange. Si sa tête répond à certaines sollicitations son corps se hérisse. Le désir et l’amour sont irréfléchis, pense-t-il.

Il essaie de se figurer une relation amoureuse avec elle pourtant il y a toujours un moment où ça bloque. C’est évidemment chaque fois dans l’intimité quand il devrait baisser le dernier rempart que le film casse.

Plus l’heure tourne, plus l’angoisse se fait. Plus la fébrilité le bouscule. Plus ses pensées deviennent incohérentes. À situation exceptionnelle, comportement exceptionnel.

À 16 h 45 il est installé à la terrasse de la rhumerie, devant un café fumant. Il s’est orienté vers la rue, aux aguets. Le regard vers le passage clouté, il guette. Il cherche à la voir avant qu’elle ne le voie.

Elle apparait au moment où il porte la tasse à ses lèvres, il tremble un peu, verse le café dans la soucoupe. Elle le reconnait aussi, sourit, s’approche, refuse la main qu’il lui tend pour effleurer ses lèvres, des siennes.

Il est coi, subjugué. Le feu aux joues, incapable de prononcer le moindre mot. Elle est sûre de son charme, se sait irrésistible. Elle s’assoit, le tire par la main pour qu’il en fasse autant.

Gauche, il ne la lâche plus. « Je t’aime » dit-il ; Les mots, tout à trac, ont franchi l’interdit de ses lèvres.

Vincent

tasse_06_18_187          4ème volet

1 Sedna    2 Etna     3 Impétus

Il est deux heures du matin lorsqu’il arrive chez lui. Il est fourbu. Déjà en manque de sommeil la nuit passée, celle-ci s’annonce tronquée également. Il repense à la fille de la Rhumerie qu’il a plantée malproprement. Il a été vraiment godiche. Il n’aurait jamais dû la suivre mais décliner l’invitation courtoisement.
C’est une maladresse qui l’ennuie mais il est tellement perturbé. Son smartphone bourdonne. L’enveloppe fermée d’un mail surgit sur l’écran de l’appareil. Il clique pour l’ouvrir. Sedna lui a laissé un message. Pour le lire il doit se connecter.
Il est indécis. Il voudrait savoir ce qu’elle dit mais il est perturbé à l’idée de lui parler. Il a chaud. D’habitude il est insensible à ce genre d’émotion. À situation particulière, réaction particulière.
Vince s’assoit sur le sofa, la tablette à la main, prêt à enclencher le bouton « On ». Face à la télé. Comme la nuit dernière. En hologramme se dessine le visage de Sedna. Il est fasciné. Son cerveau lui joue des tours. Il déraille.
Il se lève d’un bon. Pose la tablette sur le divan. Se dirige vers la salle de bain. Ôte son t-shirt. Attrape la douche. Ouvre l’eau froide. Se penche sur la baignoire. Et s’asperge.
La froidure de l’eau le fait gémir. Il sursaute. Se redresse. Lâche la douche qui tournoie. Arrose partout. Quand enfin il ferme le robinet, la pièce est trempée. Son pantalon et ses chaussettes sont gorgées d’eau. L’eau suinte sur les murs.
Son vocabulaire ordurier franchit ses lèvres. Il en lâche un chapelet. Débite des noms d’oiseaux. Mais pour l’heure il se déshabille. S’essuie. Éructe. Va chercher le seau et la serpillière dans la cuisine. Ses pieds mouillés imbibent la moquette rouge. Dans un sens. Puis dans l’autre. Il éponge. Rince. Étreint ses vêtements.
Il se regarde dans la glace enfin sèche. La colère est partie. Si tout à l’heure l’envie de se gifler lui est venue. Il en sourit. Nettoyer la salle de bain à plus de deux heures du matin est plutôt cocasse.
Quant aux marques de pas, il les sècherait bien avec son petit radiateur soufflant mais à cette heure-ci !
Il allume la tablette. Ouvre le site. Sedna est hors-ligne. Il clique sur l’icône et lit : « Je suis quelqu’un de différent, pour autant je suis capable d’aimer. Je vais être directe, tu me plais. J’ai envie de te rencontrer et de tomber amoureuse. J’ai eu le coup de foudre la nuit dernière. Je te propose une autre façon d’aimer. »
Il regarde le texte. Figé. Il ne sait pas quoi répondre à ça. Il est dans les mêmes dispositions mais sa morale s’y oppose.
Il ouvre un autre onglet. Tape « Transs » dans la barre Google puis clique sur images. Des corps nus apparaissent. Il est stupéfait. Il ouvre de grands yeux. Il ne se sent pas honteux pour autant à lorgner ce troisième sexe.
Par acquit de conscience il ouvre un autre onglet. Tape « Hommes nus » puis images. Mais là les photos qui s’affichent le dérangent. Il ferme l’onglet. Un regard curieux sur l’autre page toujours ouverte. Par curiosité il fait descendre l’ascenseur. Les images se suivent. Il n’est pas aussi choqué qu’il le pensait de prime abord.
Il excite son imagination, s’arrête sur une jolie photo puis superpose le visage de Sedna. La réaction est immédiate. Son propre émoi le surprend.
La nuit s’enfuit. Le ciel est obscur. Il fait coulisser la baie vitrée pour donner de l’air. Prend la boite de Nespresso, opte pour une capsule de « décaffeinato » à cette heure-ci. Le café coule onctueux, les gouttes tombent dans l’ombre noire et rebondissent en un petit geyser qui éclabousse les bords. Vince prend la tasse, son paquet de Marlboro, regarde la tablette encore allumée puis sort sur le balcon pour fumer une cigarette. Il fait frais. Il se vautre dans le transat sur le balcon.
Il se demande s’il est sage d’aller dormir maintenant. Il téléphonera à son patron demain matin pour l’informer d’une quelconque indisposition. Pour l’heure Sedna l’obsède. Il ne peut laisser son message sans réponse et d’autre part elle lui a fait tourner la tête.
Que peut-il lui dire ?
Il entre dans le salon. Saisit sa tablette. Prend une bouteille d’eau. Ressort sur le balcon. S’installe dans le transat. Allume une cigarette. Expulse la fumée qu’il suit des yeux.
Ses doigts caressent le clavier virtuel. Il pèse ses mots avant de les écrire. « Situation nouvelle pour moi. Mon corps dit oui à ce que mon éducation refoule. Cependant je ne suis pas prêt à n’importe quoi. » Il s’interrompt, réfléchit. « Je suis intéressé par une rencontre réelle. Cependant j’ignore quelle sera ma réaction. Voyons-nous demain à 17 heures à la rhumerie. »
La lumière verte clignote. Un message supersonique apparaît : « J’y serai ».
La lumière rouge s’allume de nouveau

Nuages sur Seine_01_03