Oyana

Oyana est une sacrée belle femme, pas très grande, le teint hâlé, des cheveux couleur aile de corbeau et des yeux noirs qui vous transpercent lorsqu’elle les pose sur vous. Élégante, raffinée et toujours aussi sûre d’elle. C’est ainsi que je l’ai rencontrée bien des années plus tard.

C’est en Cm1 que nos chemins se croisèrent pour la première fois. C’était alors une peste ensorcelante, une fille intelligente qui apprenait facilement et la nature l’avait dotée d’un fille-de-visage-de-beauté-dans-le-profil-belle-coiffure-de-femme-fille-de-brune-83270284sourire irrésistible. Nous fîmes nos études ensemble jusqu’au baccalauréat soit dans la même classe ou des classes parallèles avec une brillante facilité pour elle alors que moi je devais travailler dur pour réussir.

Je m’entichais d’elle sans jamais le reconnaître puisque depuis longtemps j’avais décidé que cet amour m’était interdit. Je préférais vivre avec mon secret bien caché au fond de mon âme plutôt que d’essuyer un cuisant échec ; sans doute par timidité maladive ou bien alors parce que je ne la connaissais que trop. Au fil du temps la chrysalide devint un papillon magnifique alors que moi les marques de l’adolescence ne m’épargnèrent pas.

Mon père, fonctionnaire d’État, dont la carrière n’évoluerait pas s’il restait en province, se fit muter à la capitale. Je cherchais toutes les solutions pour rester là où je naquis, en fait pour rester auprès d’Oyana et continuer à vivre mon amour utopique mais mes parents s’y opposèrent catégoriquement. Je leur proposai de vivre chez mon oncle Pierre avec pour argument qu’il me serait difficile de poursuivre mes études à l’Université dans laquelle je n’aurais aucun repère mais ils demeurèrent inflexibles. En dernier lieu je leur confiai que j’étais amoureux et que je voulais me marier avec ma dulcinée sitôt mes études terminées. En disant cela je me sentis rougir et filai dans ma chambre en claquant la porte derrière moi sans vouloir écouter ce qu’ils pourraient répondre. Je venais de leur révéler ce que jusqu’alors je refusais d’accepter et réalisais en même temps combien j’aimais Oyana. À l’évidence, cette confidence me fit comprendre que la meilleure solution était la fuite et que finalement ce déménagement était une opportunité.

Mes débuts à l’Université furent difficiles, je subis comme chacun un bizutage malsain qu’aujourd’hui encore j’ai du mal à oublier. Ma condition de cul-terreux aux souliers couverts de bouses de vaches, c’est ainsi que l’on me surnommait, fut la raison pour laquelle je ne m’intégrai pas, si la timidité me rongeait toujours, mon entêtement et le but que je m’étais fixé me permirent de passer au-dessus de tout cela. Mes études terminées je trouvais un travail qui ne me passionnait pas en dehors du fait qu’il me permettait une certaine aisance financière.

Mes quelques aventures n’avaient pas relégué Oyana au fin fond de mes pensées et j’éprouvais un vif pincement au cœur si je me laissais aller mais vivant à huit cents kilomètres l’un de l’autre et parti depuis cinq ans sans donner de nouvelles, je refoulai mes souvenirs mais en tout cas la nostalgie de ma ville méridionale ne me quittait pas non plus.

Pourtant lorsque je rencontrai Éloïse, une attirance particulière m’envahit. Elle était belle, souriante, intelligente et sexuellement parlant assez libérée. Dans le petit deux pièces que nous louâmes en périphérie de la Capitale, la vie était belle. Sitôt rentrés nous nous embrassions et courrions presque dans la chambre pour nous adonner à des plaisirs sensuels sans tabou. Ensuite lovée contre moi, elle me parlait de son passé, les hommes qui comptèrent dans sa vie, de son enfance, de ses copines. Moi je ne racontais rien, pas grand-chose à dire de ma famille ni de mes aventures sans lendemain. Je survolais ma vie si bien qu’un jour elle me dît abruptement « Tu me caches quelque chose, tu n’es jamais réellement heureux, je devine qu’il y a quelqu’un dans ta vie dont tu ne m’as jamais parlé. » D’abord décontenancé je ne sus que nier ses allégations mais elle poursuivit « Quand on fait l’amour tu ne me vois pas, tu ne me regardes pas, il y a une autre fille qui détient les clés de ton cœur j’en suis persuadée. » je n’avais rien à répondre à cela et déviais la conversation sur autre chose. Ce fut à ce moment là que tout partît en vrille. Deux semaines après elle vida l’appartement de toutes ses affaires et disparut de ma vie. Elle ne fit pas de scène et ne revint jamais sur sa décision.

Je me doutais que cela finirait ainsi, ça avait toujours été ainsi, j’étais incapable de confier mon secret et comme un malheur n’arrive jamais sans un autre, je fus inclus dans la vague de licenciement qui secoua l’entreprise.

Je décidai de retourner dans mon sud natal, j’avertis mes parents, donnai mon congé de l’appartement, téléphonai à mon oncle pour savoir s’il pouvait m’accueillir le temps de trouver un appartement, mes indemnités de licenciement et le petit bas de laine que je m’étais constitué me permettraient de vivre sans m’angoisser. Et j’étais convaincu de retrouver du travail facilement.

Mon oncle me proposa d’habiter dans un studio qu’il possédait en m’acquittant uniquement des charges puisque le locataire lui avait donné son préavis ; mon retour aux sources se présentait sous les meilleurs auspices.

Mon emménagement terminé, quelques jours plus tard attablé au Bar de la Mairie à l’ombre d’un parasol, je buvais une bière pour me rafraîchir, le soleil était intense, le béton renvoyait la chaleur, c’était presque insupportable. Une silhouette s’arrêta devant moi, en contre-jour il me sembla la reconnaître ; j’ôtai mes lunettes de soleil, plissai les yeux pour limiter l’intensité de la lumière sur mes rétines mais oui, c’était bien Oyana dans toute sa splendeur, encore plus belle qu’auparavant. Mon cœur se mit à battre même si j’espérai ce moment que je n’attendais pas. Elle s’assit en face de moi, me sourit d’une façon si naturelle qui me fit frissonner de la tête aux pieds. Elle était celle que je désirais, celle que j’aimais depuis mon enfance, celle pour qui j’étais revenu au pays.

Si elle ne me fit aucun reproche vis à vis de mon départ, elle regretta cependant que je ne lui dis pas. Je ne parlai pas, l’écoutai, incapable de dire quoi que ce soit, les yeux fixés sur ses lèvres que je désirais embrasser, m’imaginant la prendre dans mes bras. Je subissais l’attirance qu’elle avait toujours exercée sur moi. Je pâlis lorsqu’elle m’apprit qu’elle était mariée, mère d’une petite fille et qu’elle aimait son mari.

Par dépit ou par bravade, je racontai ma vie à la capitale, mes conquêtes sans lendemain et parlai d’Éloïse qui me quitta et accéléra mon retour dans ma province. Je lui en confiai la raison.

Elle partit rapidement devant aller chercher sa fille à l’école me déposant une bise sur la joue gauche.

J’acceptai des piges ici ou là qui me permirent de vivre sans toucher à mon pécule, versant une contribution à mon oncle, me permettant une certaine liberté.

Fidèle au Bar de la Mairie, une quinzaine de jours plus tard je rencontrai de nouveau Oyana. Elle n’avait plus l’éclat de nos années d’adolescence ni celui de notre dernière entrevue. Elle commanda un alcool fort bafouillant quelques excuses, me demanda précisément pourquoi Éloïse m’avait quitté puis m’embrassa sur les lèvres, un vrai baiser d’amoureux, avant de partir à l’école maternelle.

J’en fus étonné, surpris. Mon cerveau fonctionna à 300 kilomètres/heures. M’aimait-elle aussi ? Avais -je par timidité refusé son amour ? J’étais tourmenté.

Mes activités professionnelles me permettaient une totale liberté, c’est pourquoi nous nous rencontrâmes une centaine de fois avant qu’elle n’accepte de venir chez moi. Sitôt la porte de mon appartement refermée, je me ruai sur elle, l’embrassai comme si j’allais mourir, la déshabillai tout en la poussant vers mon lit, lui fis l’amour avec passion sans jamais la brusquer. Elle s’abandonna à tout, répondant avec ferveur comme si elle me reprochait d’avoir tant attendu.

Six mois après elle quitta son mari pour venir vivre avec moi.

Cinq ans plus tard nous étions toujours ensemble.

Deux ans passèrent encore avant qu’elle ne mît au monde notre premier enfant, ce qui ravit sa fille.

Après quinze ans de vie commune la vie est toujours une fête, nous nous entendons merveilleusement même si nos transports sont moins fréquents il n’en reste que l’amour est toujours au rendez-vous ?

Dois-je regretter ma timidité ou bénir le ciel d’avoir tant espéré ?

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