La machine à broyer les petites filles de Benacquista

la-machine-a-broyer-les-petites-fillesUn recueil de quinze nouvelles de Tonino Benacquista, paru en 1993, et qui régale son auditoire.

Dans Le jardin des mauvais garçons on peut lire ceci : « Je me suis arrêté d’écrire un instant pour vérifier une dernière fois le barillet. Puis j’ai essuyé le bout du canon pour éviter au mieux le goût de la rouille dans la bouche. »

Dans Le balcon de Roméo un acteur et une actrice, amants à la ville, rejouent la scène mythique  « C’est en sortant de la chambre que je l’ai vue. J’ai voulu fermer les yeux, mais il était trop tard. Elle avait le regard brûlant de Méduse et la voix des sirènes. Elle avait le corps de Calypso et une réputation plus cruelle que celle de Circé. Et moi, Ulysse de fortune, je me suis vu tomber dans tous les pièges à la fois. J’ai eu une seconde de vertige et une minute de fièvre, quand elle m’a dit : on se voit ce soir, non… ? » Mais oui il s’agit d’un remake de Shakespeare.

Suite logique commence par ces mots : « Je hais les test d’intelligence. Et quand je dis je hais, je n’encourage personne à me forcer à le prouver. Test et intelligence, je ne supporte pas la collision de ces deux mots. Ce que j’exècre plus encore, c’est l’individu qui vous en fait passer un ave le sadisme bienveillant de celui qui connait la réponse. » Où comment on vous fait perdre pied devant l’être aimé et quelle sera la vengeance.

Dans le quiproquo de Cuedo privé entre le tueur à gages et son commanditaire on peut lire ce dialogue : « — Ouais et je ne suis absolument pas détective privé. J’invente. Tout ce que je sais de ce boulot c’est de ma femme que je tiens. Parce que, elle, elle en fréquenté un, un vrai. Elle voulait me faire filer, elle pensait que je la trompais trois nuits par semaine, l’idiote. — Et tu faisais quoi trois nuits par semaine ?  — Je jouais au Cuedo avec des riches oisifs, mais pas en tant qu’enquêteur, tout simplement en tant que tueur. »  et la fin n’en est que plus surprenante.

Et pour les surprises Tonino  Benacquista est un maître, ses nouvelles sont impitoyables et les chutes savoureuses. Je ne vais pas les résumer une à une mais… il excelle.

Sur la couverture :  Il suffit de prononcer le mot  » colt  » et l’on a changé de bord. Errer dans les rues avec un revolver en état de marche, c’est saisir la chance d’être un autre. Immédiatement, dès le tout premier contact, des idées me sont venues à l’esprit, des choses auxquelles je n’avais jamais pensé. Jamais. Une foire au crime, un chasseur de pizza, un balcon meurtrier, un violoncelle qu’on assassine et un Van Gogh gravé dans la peau sont autant de pièces d’un engrenage cynique et burlesque, un laminoir de l’innocence, une machine à broyer les petites filles.

Quelques avis sur Babelio Et Tonino Benacquista sur Wikipedia

La boite noire de Tonino Benacquista

La boite noireUn régal que ces quelques nouvelles dont l’une, plus connue, a donné le titre à ce petit recueil édité dans la collection Folio2. Je ne dirai qu’un mot : fabuleux. Un nectar à consommer sans modération tant José Benacquista est au sommet de son art.
Dans l’ordre, les nouvelles sont :

La boite noire :
« L’infirmière a un comportement étrange, elle vaque autour de mon lit en me lançant des œillades à la dérobée, mi-amusée, mi-intriguée. Comme si j’étais une vedette. Cet accident ne m’a pourtant pas rendu amnésique : je m’appelle bien Laurent Aubier, j’ai trente-cinq ans, je répare des photocopieurs, je suis célibataire, et ma grande ambition dans l’existence et de décrocher le premier prix du concours Lépine. La femme en blanc me confirme l’ensemble avec le sourire, comme si elle connaissait le moindre rouage de ma vie. Je lui en fais la remarque, un peu agacé.
– J’en sais peut-être bien que vous-même, répond-elle en quittant la chambre. »
En effet, elle l’a veillé durant toutes ses heures de coma durant lesquels il avait un flot intarissable, notant sur des pages et des pages ce qu’il disait, documents qu’elle lui remettra à sa sortie de l’hôpital.
Ces quelques feuilles vont bouleverser sa vie mais inutile d’en dire plus.
Cette nouvelle est un régal qui a donné lieu au tournage d’un film éponyme tourné par Richard Berry en 2005.

La volière :
« Je vivais à Budapest quand mon oncle m’a appelé à son chevet. Je ne me doutais pas qu’il voulait mourir dans mes bras. En le voyant se redresser sur son lit et tendre la main vers moi, j’ai compris que je n’avais pas fait le voyage pour rien. L’infirmière nous a laissés seuls, au plus mauvais moment mais elle avait le métier pour elle (..) Il m’avait toujours parlé comme à un adulte, et il n’y a pas de désir de gosse plus fort que celui-là. (..) Tout à coup, il a retenu son souffle avant de dire :
— Je veux être enterré près de la volière.
Et sa joue a caressé l’oreiller comme un flocon de neige finit sa chute. »
Il suffit au nouveau de découvrir ce qu’est la volière, le tonton était-il colombophile ? Mais il l’aurait su. Pour satisfaire sa dernière volonté, le neveu va parcourir la France, et découvrir les anciens amis de son oncle. Bien sûr qu’il va rentrer dans l’intimité de cet oncle qui n’a pas fini de l’étonner et cela va-t-il changer sa vie à lui ? Et la volière qu’est-ce donc ?
J’ai suivi ce parcours amusé puis la larme à l’œil et je me suis laissé porter par les mots de Benacquista. Même si pour certain cette quête est cousue de fil blanc j’ai en ce qui me concerne été surpris.

Un temps de blues :
« Trempé comme une soupe. Pas la petite ondée qui mouille sans le faire exprès, non. L’instant est tropical. Une tempête qui vient de si loin qu’elle déracine les passants et inonde les trottoirs. Je sais qu’elle m’est destinée, la vie ne me laisse jamais en paix. »
Et par ce temps de chien, lorsqu’on est accoudé au comptoir d’un bar minable, que faire d’autre que de parier sur l’incertitude.
Un petit texte de quatre pages que j’ai bien aimé.

Transfert :
« Dans une vie de couple, il y a toujours un matin où l’autre vous regarde avec une petite lueur de doute au fond des yeux. De doute ou d’autre chose d’hypnotisant. Pour la première fois, on perçoit une inquiétude chez celui ou celle qui, jusqu’’alors, partageait avec vous cette douce et routinière insouciance. Ce que vous ne savez pas encore, c’est que vous êtes le sujet d’inquiétude. »
Selon lui minou, sa femme, est prévisible. Depuis la dizaine d’années qu’ils vivent ensemble, il sait à la seconde près comment elle va réagir, ce qu’elle va dire. Mais ce qu’il n’a pas prévu c’est qu’elle le trouve en pleine dépression et lui conseille d’aller voir un psychiatre, d’ailleurs c’en est presque une obsesion pour elle. La réaction est vive, bien sûr ! Le psy est le médecin des fous. Mais qu’en sera-t-il ici ?

Le dernière nouvelle est moins interessante, à mes yeux, et j’en fais l’impasse. Cependant j’ai éprouvé un vif plaisir à lire de nouveau Benacquista que j’avais abandonné depuis Malavita et sa suite – adapté au cinéma par Luc Besson avec dans le rôle du vieux gangster en cavale Robert de Niro – film qui sortira sur les écrans en octobre 2013.
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Un livre réjouissant extrait du recueil Tout à l’égo chez Folio.