L’accord final

Max était assis devant son piano, vu la position de ses bras il donnait l’impression de jouer mais aucun son ne sortait de l’instrument pourtant les pages de la partition tournaient lentement bien qu’ il restait immobile.

Édith l’appela sans qu’il ne réponde tout en constatant que ses bras ne bougeaient pas. Elle haussa le ton sachant que parfois il était un peu dur d’oreille mais sans succès. Elle insista vivement presque à en hurler sans qu’aucun son ne sorte de ses entrailles. Elle sentit comme un frisson, assise dans son fauteuil roulant, elle ne se déplaçait qu’à l’aide de sa commande électrique. Elle s’agita autant qu’il lui était possible de le faire mais son corps ne réagit pas.

Sa respiration s’accéléra subitement, elle se dit que c’était le moment de passer à l’acte, d’en finir une bonne fois pour toutes, quelles qu’en soient les conséquences.

Tout comme lui elle était pianiste mais depuis l’accident, elle gisait dans son fauteuil, dépendante de lui. Bien sûr il avait engagé une infirmière au début puis lorsque l’argent commença à manquer, il en assuma la charge, seul.

c’était son calvaire, sa pénitence.

L’accident c’est lui qui le provoqua, un soir de concert, une ravissante brune en robe de soirée lui fit des avances mais Édith étant présente et il n’était pas question de s’afficher ou même de lui faire de la peine. La femme semblait en admiration et le sollicita ardemment et il ne résista pas, vingt ans que sa fidélité à Édith était sans accroc – Édith Courson pianiste de renom tout comme lui Maxime Lapierre – vingt ans qu’il évitait de porter son regard sur une autre mais aussi vingt ans d’amour, de querelles et de rivalités professionnelles. Dans les toilettes de la salle de concert, il se fourvoya cependant, répondant à ses sollicitations, tiraillé entre le désir et la peur. C’était une passionnée qui lui lacéra le dos et lui laissa des marques dans le cou. Dés son retour dans le salon de réception Édith devina tout, son sixième sens en alerte, elle découvrit des rougeurs suspectes à l’encolure de sa chemise, une colère froide l’envahit, « rentrons, dit-elle fermement mais avec discrétion ».

Dans la voiture elle le harcela de questions, perdit le contrôle d’elle-même, le frappant même tandis qu’il ne répondait pas. Il roulait à vive allure sur cette route de grande banlieue encadrée par des arbres. Soudain elle le bouscula violemment si bien qu’il donna un coup de volant, la berline dérapa, affolé il tenta de redresser l’automobile mais ses gestes brusques n’eurent pas l’effet escompté, la voiture finit sa course dans un arbre. S’il s’en sorti, grâce aux airbags, avec une jambe cassée, des côtes fêlées et de menus contusions sur le corps, alors qu’Édith n’eut pas cette chance propulsée au travers du pare-brise elle percuta l’arbre avec violence.

Dix mois à l’hôpital de Garches ne lui rendirent pas l’usage de ses membres, seuls un transfert tendineux-musculaire lui redonna l’usage de ses doigts et la rééducation de sa vessie et de ses sphincters aboutit. Aucun verdict ne lui fut donné mais elle comprit rapidement qu’elle ne retrouverait jamais l’usage de ses membres, l’accepter fut un travail difficile qu’elle n’entreprit jamais.

Max ne lui rendit visite que trois mois après l’accident, trois mois durant lesquels il resta allongé à l’hôpital pour panser ses fêlures et ressasser ses fautes, il culpabilisait. S’il ne s’était pas égaré avec cette inconnue rien de tout cela ne serait arrivé mais si Édith ne l’avait pas bousculé brutalement… Il savait qu’avec des si on ne pouvait refaire le monde. Il ne pensait qu’à ça, au désastre dont il était l’auteur. Soit, il roulait un peu vite mais n’ayant que trempé ses lèvres dans une coupe de champagne il n’était pas en état d’ébriété. L’accident lui revenait toujours en mémoire inéluctablement, associé à la séance un peu rude des toilettes de la salle de concert . Il ruminait s’il n’avait pas failli et s’il avait su redresser sa voiture, tous les deux n’en seraient pas là. Les remords l’accablaient, incapable d’oublier. À l’approche de sa sortie il était oppressé, ni la prière ni la repentance ne l’apaisait. Il avait le teint livide, perdu beaucoup de poids et surtout, il était terrifié à l’idée de rencontrer Édith. Il savait qu’elle ne lui pardonnerait jamais.

Édith passait son temps alitée sans bouger le moindre petit doigt. Elle subissait les séances de kinésithérapie sans faire de progrès malgré l’optimisme des soignants. Son cerveau fonctionnait mais pas son corps excepté ses doigts, la seule chose que Dieu lui permettait était de remâcher ses pensées. Bien sûr elle regrettait de s’être emportée, de n’avoir pas su gérer sa jalousie mais c’était sa faute à lui, il en portait l’entière responsabilité. Elle lui en voulait, son corps criait vengeance. Pendant ses trois longs mois elle refusa de lui parler lorsqu’il appelait au téléphone. Pour fuir ses pensées elle repassait dans sa tête, les Impromptus de Schubert, dans lesquels elle excellait. Elle revivait ses concerts donnés dans les plus grandes salles, les ovations du public qui lui mettaient du baume au cœur, qui lui permettaient de survivre, mais une seule question l’obsédait : comment pourrait-elle se venger.

Avant d’aller la voir à l’hôpital Max lui fit livrer une chaîne Hi-Fi avec quelques uns des enregistrements qu’elle affectionnait, le personnel médical se prêtaient gentiment à l’exercice, ses doigts caressaient les notes dans sa tête avec autant de bonheur que de désespoir.

Lorsqu’il vint pour la première fois à l’hôpital, leurs silences étaient accablants, incapables de communiquer, elle ne souhaitait pas le voir, chacun embourbés dans ses regrets, parler fut presque impossible. Elle lui suggéra juste de l’aider à en finir. Il l’entendit, abasourdi.

Ce qu’elle lui demandait le minait, était au-dessus de ses forces, de ses convictions même s’il avait lu dans son regard la haine qu’elle lui portait.

Lui-même ne pouvait plus jouer, il devenait maladroit, ses doigts ne suivaient plus. S’il eut recours à l’auto-hypnose, c’était uniquement pour rester vivant, pour rester le pianiste qu’il était, pour jouir de sa virtuosité. Chaque séance lui procurait un bonheur infini, imaginer ses doigts courir sur la piano le mettait en transe, il perdait tout sens de la réalité.

Un jour de déprime il avait acheté une arme sans vraiment savoir pourquoi, arme qu’il oublia aussitôt au fin fond d’un tiroir.

Édith prit l’habitude de l’écouter partageant ces moments, elle avait l’impression de l’entendre, de savoir quelle mélodie il interprétait, elle visualisait ses mains sur le clavier, s’enthousiasmant de ses performances. Ils avaient établi au fil du temps, un contact par la pensée uniquement autour du piano, une transe hypnotique qu’ils partageaient.

Cependant ce jour-là elle comprit que quelque chose d’anormal se passait ne percevant aucune note, la communion était interrompue. Elle y vit une occasion inespérée, elle comprit que c’était l’heure de sa revanche. Elle avait répété inlassablement les gestes dans sa tête, les exécutant parfois avec maladresse mais à force d’entraînement elle savait qu’elle réussirait. Il y a longtemps qu’elle avait pris possession de l’arme. Au moment ou elle appuya sur la gâchette, les premières notes de Gretchen am spinnrade de Schubert résonnèrent puis la musique se tut et Max s’affala sur la piano.

12 réflexions au sujet de « L’accord final »

  1. Hey…ça fait plaisir de voir que tu n’as rien perdu de ta verve, Choupinou !
    Une belle histoire tragique dont tu as le secret, avec tous les ingrédients du drame en trois actes.
    J’espère que tu vas bien et que tout se passe comme tu veux.
    Bisous toujours aussi célestes
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Coucou Celestine.,
      Je ne suis plus très actif en ce qui concerne l’écriture sur ce site et j’avais même égaré mes identifiants mais voilà.
      En tout cas merci. Je vais essayer de me discipliner.
      Merci je vais bien j’espère qu’il en est de même pour toi.
      Bisous des îles. 😉

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      1. Ah d’accord (mais pas le final)… j’avais spontanément pensé qu’il tombait pile poil dans le thème et que – bien construit comme il l’est – il pourrait mériter un regard plus « pro » que celui des blogueurs/ses, parfois inconditionnels/les…

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        1. Oui mais tu sais dans les concours il n’y a qu’un lauréat qui connaît l’avis du jury sur son texte, les autres concurrents ne savent pas ce qui les a éliminé et puis j’habite dans les îles et le prix sera remis à Paris…
          Mes textes sont toujours un peu particuliers et je doute qu’un jury en apprécie la teneur.

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