Les tendres plaintes de Yoko Ogawa

C’est par ces mots que le livre commence : « Quand je suis arrivée au chalet, tout autour il faisait déjà nuit. » Parce qu’elle vient de nouveau de se disputer avec son mari, elle l’a quitté sans prévenir, partie de Tokyo pour la montagne dans la maison de famille. Rukiko est calligraphe, son mari est opthtalmologiste, elle l’a rencontré lorsqu’elle est venue consulter à son cabinet alors qu’un voile gênait sa vision.

Depuis les choses ont changé, il a une maitresse sûrement parce que Rukiko n’a jamais pu avoir d’enfant. Il la bat et à ce propos, elle dit : « Je me souviens très bien de la première fois que mon mari m’a frappée. Je ne me rappelle pas précisément pourquoi il l’a fait, mais je revois nettement la forme de sa main, la vibration de l’air, l’expression de son visage et la sensation que j’ai éprouvée. »

Elle travaille en free-lance et peut donc rester isolée le temps qu’elle veut, puisqu’elle a apporté la biographie d’une vieille dame à la vie tourmentée qu’elle calligraphie. Elle alterne entre promenade et travail. Exilé comme elle, elle rencontre Nitta facteur de clavecins, pianiste talentueux incapable de jouer en présence d’un tiers sauf, de la jeune femme Kaoru, qu’il forme à son art. Ignorant quels sont les rapports qu’ils entretiennent, Nitta et Kaoru, Rukiko est attiré par le facteur. Ces mains qui scient, cintrent, poncent, assemblent le saule, la fascinent « Le désir d’être touchée, non seulement aux pieds, mais aussi dans tous les recoins de mon corps, de chaque cil jusqu’à mes replis les plus profonds, jaillissait de ma poitrine. »

Elle dit aussi de Nitta : « Il a fait tout ce que je voulais. Il a réveillé un à un les plaisirs gelés. Nous avons enlevé nos vêtements et nous nous sommes allongés sur la couverture sans nous éloigner un instant l’un de l’autre. Ses doigts remuaient si doucement qu’ils donnaient l’impression d’avoir peur. Comme s’ils jouaient sur mon corps au lieu de toucher un clavier. Sous les yeux du clavecin. »

« Curieusement, je ne me sentais pas coupable vis-à-vis de mon mari. Je commençais à penser que je n’étais pas venue pour le fuir, mais pour rencontrer Nitta. Je ne pouvais pas croire que ce qui s’était passé cette nuit-là entre nous ait été de même nature que ce que nous faisions mon mari et moi. Il s’agissait d’un moment particulier qui ne pouvait exister que pour nous. Nitta avait traversé mon corps pour toucher mon cœur. Mon mari ne pourrait jamais traverser le voile qui me séparait de lui. »

Le médecin, son mari, qu’elle rencontre lors d’un de ses allers-retours à la capitale, demande le divorce pour épouser celle qui va lui donner un enfant. Pour Rukiko une autre vie s’ouvre à elle, son professeur de calligraphie, lui propose de l’associer dans une entreprise de formation par correspondance.

Nitta et Kaoru, Rukiko et Nitta, qu’adviendra-t-il de ce trio qui porte comme une croix un passé douloureux ? Est-ce que la neige, la tempête ou le soleil et les arbres réussiront à apaiser ces vies tortueuses ?

« Les tendres plaintes » c’est une pièce de clavecin issue de la Zoroastre une tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) que joue Kaoru chaque fois qu’un clavecin est achevé.

Mon avis :

Si l’idée du bouquin est un peu immorale, un homme divorce pour avoir un enfant qu’il ne peut avoir avec sa femme qui elle, tombe amoureuse d’un homme qui n’est peut-être pas libre, le livre est magnifiquement écrit par une Yoko Ogawa au sommet de sa forme.

Les personnages sont bien campés, les descriptions de la ville, des paysages, des situations sont habiles. Le style est très agréable comme toujours.

Inutile de dire que j’ai beaucoup aimé ce livre comme j’ai aimé aussi Parfum de glace. Ce livre a une délicieuse mélodie comme souvent chez Yoko Ogawa, comme chez Haruki Murakami, la musique entre pour beaucoup dans l’écriture.

 

Livres de Yoko Ogawa que j’ai lus et dont j’ai parlé  :

Parfum de glace ici

La peite pièce hexagonale

La formule préférée du Professeur ici 

 

La couverture :

Blessée par l’infidélité de son mari, Ruriko décide de disparaître. Elle quitte Tokyo et se réfugie dans un chalet en pleine forêt où elle tente de retrouver sa sérénité. Ruriko est calligraphe.

Non loin, dans un autre chalet, s’est installé Nitta, un ancien pianiste de renom devenu facteur de clavecins, un homme habité par un calme particulier qui semble absorber les sons des instruments qu’il fabrique. Bien qu’assisté chaque jour dans son ouvrage minutieux par une jeune femme prénommée Kaoru, il vit seul avec un vieux chien aveugle et sourd. Invitée en ces lieux par Kaoru, la calligraphe observe et s’interroge sur la relation du facteur et de son aide. Ainsi elle apprend que Nitta ne peut plus jouer en présence d’autrui, que seule persiste en lui la capacité de vivre avec des sons invisibles. Mais, un matin, la calligraphe surprend Nitta installé au clavecin jouant “Les Tendres Plaintes” pour Kaoru.

Ecrites en 1996, “Les Tendres Plaintes” contiennent tous les éléments révélateurs de la personnalité littéraire de Yoko Ogawa. Le regard porté sur la nature, sur ses sonorités, l’intensité de ses nuits, l’indicible solitude des êtres et leurs relations fugitives donnent à cette histoire une étrange résonance : celle qui prend source au cœur de l’inconscient.

 

   

   

 

4 réflexions au sujet de « Les tendres plaintes de Yoko Ogawa »

  1. Tu me tentes, tu me tentes mais je résiste (je n’ai pas trop le choix 😦 ) J’ai déjà noté les précédents livres… hum hum, je sors…sur la pointe des pieds… 🙂 Tu as même mis un fond d’écran assorti, trop fort !!! 🙂

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  2. Lol… Sur une autre chronique de livres de cette chère Yoko Ogawa tu avais déjà constaté des similitudes avec Haruki Murakami, tout au moins dans l’écriture que je confirme.
    C’est une peinture de Hokusai représentant le Mont Fuji.
    Quel oeil ! 😀

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