Le fusil de chasse de Yasushi Inoue

Le livre commence ainsi :
9782253059011-TUn jour, il m’arriva de donner au Compagnon du Chasseur (cette modeste revue publiée par la Société des Chasseurs du Japon) un poème intitulé Le fusil de chasse.
Ce poème parle d’un homme que le narrateur a croisé. Il s’attend à quelques commentaires, en vain  Que diriez-vous si je vous avouais que l’homme dont vous avez parlé dans votre poème  n’est personne d’autre que moi […] Aujourd’hui, pour la première fois, j’admire profondément la perspicacité peu commune des poètes.
Puis il ajoute ,
J’ai ici trois lettres qui me furent adressées. J’avais l’intention de les brûler, mais, après avoir lu votre excellent poème, j’ai cru devoir vous les montrer […] je serai heureux que vous les lisiez à loisir. Je ne vous demande que de les lire. Je ne désire rien de plus.

La première lettre qui lui fut adressée est celle de Shoko. Elle apprend à Misugi qu’elle a lu le journal intime de sa mère juste avant sa mort et qu’elle a découvert la relation qu’il entretenait avec elle.
Si je devais vous dire ceci de vive voix, comme cela me serait difficile ! Sans compter ce que ma tentative pourrait avoir de pénible.
Puis elle continue
Ce que je sais de votre relation avec Mère montre qu’il s’agissait d’un amour que nul n’approuve et que nul ne saurait approuver.
Misugi est marié avec Midori, qui accompagne Saïko la mère de Shoko jusqu’à la mort. Si Shoko remercie Josuke de s’être occupé de toutes les formalités pour les obsèques de sa mère, elle les prie, lui et Midori, de disparaître de sa vie.

La seconde lettre est de Midori, femme de Misagi, qui sans détour lui propose
Quand nous jetons un regard sur le passé, notre mariage, qui n’existe que de nom, semble avoir duré trop longtemps, n’est-ce pas ? Alors n’as-tu pas envie d’en finir une fois pour toutes ?
Mais si elle lui parle de sa vie dissolue elle l’informe qu’elle n’ignore rien de sa liaison avec Saïko depuis qu’elle les a surpris treize ans plus tôt
Je me rappelle t’avoir aperçu, dans ton costume gris, sur une falaise, en contrebas de ma chambre […] Quelle fut ma douleur lorsque ce haori de soie, orné de chardons brillants, frappa mon regard. Celle qui portait ce vêtement, une grande et belle femme, s’est approchée de toi. Je ne m’étais pas attendue à ce que mon pressentiment se vérifiât aussi exactement… »

Le dernier geste qu’elle aura pour son mari sera d’assortir ses cravates à ses costumes avant de quitter la maison.

La troisième lettre, celle de Saïko, sa maîtresse, commence ainsi :
Quand tu liras ces mots, je ne serai plus.[…] Quelle étrange chose qu’une lettre posthume ! Même si la vie enfermée dans cette lettre ne doit durer que quinze ou vingt minutes, oui, même si cette vie doit avoir cette brièveté…
Puis elle se souvient
Quand tu m’as dit : « Ne veux-tu pas m’empêcher de tromper Midori aussi longtemps que nous vivrons ? », je t’ai répondu sans hésiter : « Puisque nous ne pouvons éviter d’être des pêcheurs, soyons au moins de grands pêcheurs. Et aussi longtemps que nous vivrons, nous tromperons non seulement Midori mais encore tout le monde.»
Puis elle raconte que lorsque Midori est venue l’après-midi, elle portait le haori de soie et qu’elle dit
C’est le haori que vous portiez quand vous vous trouviez avec Misugi, à Atami n’est-ce pas ? Je vous ai vus tous deux ce jour là

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Que dire d’autre ? C’est écrit dans le plus pur style japonais. C’est un livre jouissif pour ne pas dire un chef d’œuvre.  Une conte de la vie, magnifiquement écrit. Les japonais ont un art de l’amour, une science du sexe assez peu égalée dans le monde. Ce livre d’une centaine de page est un bijou de a littérature japonaise.

Yasushi Inoue est un écrivain du siècle dernier, 1907 – 1991, fils de chirurgien, élevé par sa grand-mère, une ancienne geisha, peut-être sont-ce là les fondements de son rapport avec les femmes !

C’est un écrivain prolixe et ce petit roman de 88 pages est un bijou que je conseille les yeux fermés.