IL court, il court l’enfant.

©Kot²
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Peur, courir. Les mots se bousculent. Il tourne la tête, personne aux alentours. Juste une angoisse qu’il ne sait pas nommer.
La rue descend. Les barreaux aux fenêtres sont peu rassurants. Et ce bruit hallucinant à se boucher les oreilles.
Il ne pleure pas parce qu’il veut être fort. Sa mère lui a dit, court et ne larmoie pas ça te ralentirait.
Tourner la tête lui est douloureux. Il a comme un sixième sens. Il dévale la pente. Réfléchit presque à mettre un pied devant l’autre pour ne pas tomber.
Le bruit est angoissant derrière-lui, il a l’impression d’avoir très chaud. Comme si…
Ça brûle soudain !
Il serre les dents. Si fort qu’il a l’impression qu’il va les perdre. Ça tourne dans son ventre. Il contracte ses sphincters, instinctivement.
Il a peur, oui ! Mais il est déjà un petit homme. Il veut faire honneur à son père. Son sang a giclé devant lui. Juste un petit trou. Il se rappelle.
Pas de larmes, ce serait encourager l’ennemi dans sa violence. Il ne sait pas ce qui se passe.
Ce qu’il sait ?
C’est la guerre.
Ce qu’il ignore c’est pourquoi !
Il a vu son père, ses oncles, ses grands-parents. Allongés sur le bitume. Le sang coulait.
Il doit garder ces images à l’esprit. C’est sa sauvegarde. Sa mère lui a toujours dit : « écoute le Prophète. » Il tend l’oreille.
Il pense à Medhi, son copain, qui lui écoute Dieu. Et c’est sûrement la même prière qu’ils partagent.
Ses larmes mouillent ses yeux. Son dos brule il ne sait pas pourquoi. Pourtant il a couru. Mais il voit les flammes dans les carreaux autour de lui. Il s’oublie. Traitreusement son corps lui fait faux bond. Il a honte.
Il croit que s’il avait une kalachnikov il serait plus fort. Que ses humeurs seraient restées à leur place, dans son ventre.
Il se trompe l’enfant. On lui a apprit que l’autre est mauvais parce qu’il ne lui ressemble pas. Forcément, plus il a peur, plus il déteste Medhi et son Dieu.
Le lavage de cerveau fait son œuvre. Du haut de ses cinq ans il est prêt à ôter une vie pour survivre.
Sait-il que Medhi pense la même chose ?
Sait-il que son ami est prêt à la même violence pour la même raison ?
Pourtant ils ont joué tant d’années ensemble.
Savent-ils que l’oubli fonce à la même vitesse qu’une balle ?
Le ciel ronfle chargé de la violence des hommes. Le nuage s’épaissit.
La pente s’accentue. Une pluie noire descend.
C’est quoi ça se demande-t-il ?
Il n’a jamais couru autant.
Il déteste Medhi, c’est ancré dans son sang. Maintenant. La peur engendre la haine.
Son ombre le suit, devant ! Ça l’agace.
Il freine en courant pour ne pas tomber ; le corps incliné à l’inverse de la descente. Pour se retenir.
En bas, il aperçoit Medhi. Leurs yeux se lancent des éclairs. Ils se détestent. Soudain. Oubliant l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre.
Un souffle encore plus chaud secoue l’endroit. Le bruit est monstrueux.
La déflagration les pousse l’un vers l’autre. Ils se bousculent, se repoussent.
Chacun ressent l’autre et sa violence.
Puis leurs bras s’étreignent parce qu’ils s’aiment fraternellement. Ils se congratulent, s’enlacent, se touchent pour mieux se reconnaître. Ils mélangent leur terreur.
Aucun n’entend le drone.
La bombe siffle de plus en fort au fur et à mesure qu’elle prend de la vitesse.
Lorsqu’ils lèvent la tête c’est trop tard, déjà !
La coalition fait sa guerre et tue. Sans remord.

une-photo-quelques-mots1-300x199Écrit pour l’atelier d’écriture de Leiloona.

26 réflexions au sujet de « IL court, il court l’enfant. »

    1. Désolé je viens seulement de repêcher ton commentaire, WP place parfois là où je ne vais pas voir.
      Oui on pouvait choisir l’angle que j’ai adopté et écrire un texte fort.
      Je vais aller voir ce que tu as écrit bien sûr.

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  1. Outch’, ah oui je comprends mieux quand tu me disais que j’étais plus délicate …

    Très beau texte encore une fois. J’aime le rythme que prennent tes écrits. Avant il y avait le fond, maintenant la forme est là aussi.

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  2. L’écrit est d’une grande justesse, c’est rythmé, on s’essouffle comme lui avec les phrases courtes, et on ramasse la claque à la fin, quand on a ete bien secoué par le texte!
    Terrible…

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  3. La force de ce texte, c’est que les protagonistes sont des enfants.
    Du coup, la guerre paraît encore plus absurde.
    Heureuse de retrouver ta plume. Un bug de blogspot m’a fait louper quelques uns de tes billets!
    Mais je vais me rattraper !

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  4. Ah J-C quel texte! J’en ai même eu les yeux mouillés. Si si… C’est qu’il est plein de vérité, plein d’humanité… C’est la guerre, celle dont les enfants, comme tu le dis si bien, ignorent le pourquoi. Celle qui laisse des images, des souvenirs d’horreurs… Celle qui suscite la peur et qui engendre la haine… Ouf là je suis très émue… Bisous J-C

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    1. Merci pour tes bisous Nad… ça réchauffe.
      Je suis forcement dans un sale état lorsque j’écris ce genre de choses mais je dois aimer ça sans doute. Ma violence est canalisée dans l’écriture au travers de l’information qu’on nous donne et qui n’est jamais très drôle.

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