Histoire de vieux

131068394516– Oh pépère tu veux pas te lever ce matin !

La mère Michel tapait dans les volets depuis dix minutes en le hélant de sa voix cassée de fumeuse édentée. Faut dire que d’habitude le vieux courait déjà le guilledou à cette heure-ci.

Mais ce matin, l’père Dupanloup était dans son sommeil. Si l’insomnie était son quotidien, cette nuit il avait eu un mal de chien à se rendormir. Il eut beau se recouvrir de ses draps étoilés, les fesses de la mère Michel l’obnubilaient.

Ce fut épuisant, une véritable obsession, c’est la raison pour laquelle malgré le chant du coq il dormait encore.

Lorsqu’il entendit, au bout d’un moment, la voix de la mère Michel ses sangs ne firent qu’on bond. Elle s’inquiétait pour lui, oh doux délice cette attention le ravissait !  Il surveillait en même temps l’éveil voluptueux de son corps « Cré vains dieux se dit-il pour une fois qu’elle me réclame j’vais ben la laisser hurler. »

Plus elle menait la sarabande en tapant sur les volets, plus elle stimulait le père Dupanloup. Il était transfiguré. L’ivresse du moment le transcendait.

Son rêve revint, un éternel recommencement comme un voyage sans fin mais bercé par … Et puis soudain comme si les jérémiades l’importunaient il se leva comme un seul homme, ouvrit la fenêtre qui grinça sur ses gonds.

« Ça va pas pépère t’es tout blanc ? » l’apostropha-t-elle. Elle regardait ce grand chauve hirsute,  tout dégingandé. « Va donc te débarbouiller un peu pendant que je vais t’préparer ton déjeuner. »

L’père Dupanloup s’il l’aimait bien la mère Michel il savait que les silences seraient peuplés de caquetages et qu’il devrait s’en accommoder. Le chat noir de la mère Michel vint se frotter sur son pantalon, il le caressa d’une main mouillée et le félin s’enfuit en miaulant.

« Qu’est-ce t’as fait au matou qu’il a la queue en l’air ? » demanda-t-elle depuis la cuisine.

Il marmonna en étalant le savon à barbe sur ses poils clairsemés. Il regardait son visage dans un bout de miroir posé sur le lavabo en pierre. Il réfléchissait. Lui demander sa main mettrait un terme à sa solitude certes. Pour sûr qu’il ferait une fête chez le père Duval pour l’occasion et mangerait à s’en faire péter la sous-ventrière mais le jeu en valait-il la chandelle ?

Il regarda un vol d’étourneaux au travers de sa fenêtre refusant une prophétie trop facile.  Il s’aspergeât le visage, mit un peu de dentifrice sur la vieille brosse à dents qu’il utilisait depuis trop longtemps et se brossa les dents. Il se dévisagea, esquissa un regard ténébreux plutôt raté qui le fit glousser comme une poule.

Il ne savait pas comment l’aborder  ni que lui dire en guise de prologue. Ce dont il était sûr c’est qu’elle était là pour ses beaux yeux parce que ses terres en fermage ne lui rapportaient pas grand-chose et elle le savait bien.

Il ne savait comment faire, la subjuguer, jouer les passeurs de mots, c’était plus de son âge.

« Pépère viens manger tes tartines, l’appela-t-elle, ensuite nous irons nous ressourcer au bord du lac. Nous naviguerons avec la barque tu feras comme si nous avions toujours vingt ans comme si je t’avais pas fait faux bond mais nom d’une pipe en bois ne t’avise pas de me faire passer une seconde fois par dessus bord parce que si t’as purgé tes cinquante de punition une première fois, j’te jure sur la tête de mes loupiots que tu seras puni pour les cinquante prochaines. »

Texte écrit pour les plumes d’Asphodèle avec les mots imposés :  vol, chat, transfigurer, chauve, blanc, solitude, silence, matin, se ressourcer, ivresse, ténébreux, épuisant, insomnie, étoilé, fête, rêver, sommeil, voyage, chanson fesse, recommencement, voluptueux, sarabande, passeur, prologue, pavillon.

Et puis pour la petite histoire un clip de Pierre Perret