Le cinquantième anniversaire

Champs de blé avec cyprès
Champs de blé avec cyprès

Au milieu de la pièce, Cléa paradait avec élégance dans sa magnifique robe beige achetée rue Saint-Honoré. À ses côté Simon Pierre de la Vigie, playboy, héritier de la chaîne de luxe Elltoys, qui connut un développement extraordinaire dans les années 2010, lui tendait un plateau sur lequel trônait une magnifique coupe en baccarat, pleine aux trois quarts d’un champagne qu’elle adorait.

Pierre de la Vigie avait beaucoup de prestance, il faut dire qu’il avait évolué dans un monde où l’argent coulait à flots. Son père réussit l’exploit d’intéresser ces dames de la bourgeoisie avec des jouets intimes aux matières exceptionnelles. Pierre était sûr que plus de la moitié des sacs à mains des invitées, contenait l’un des joujoux qu’il commercialisait.

Son père avait mis un point d’orgue à pénétrer ce milieu fermé avec ses petits bijoux, car c’était effectivement ce qu’il parvint à faire de ces objets, réalisés à la demande dans les matières telles que l’or, l’argent, le verre, le cuir ou même les diamants. Tout était à la demande, le raffinement à l’honneur.

La bataille avait été dure pour s’imposer dans ce milieu régit par la pègre même la barbarie à laquelle il avait dû faire face n’avait pas entamée sa détermination. Aux coups bas qu’on lui fit il répondit avec la même cruauté. Mais la partie avait été gagnée parce que les cibles qu’il visait n’étaient pas convoitées par le milieu.

Voilà l’histoire familiale et pourquoi Pierre était assis sur un confortable matelas de laine. Il avait repris le flambeau derrière son paternel. Ses bureaux et ses ateliers étaient installés face au Palais de L’Élysée, au fond d’une cour, la porte d’entrée en verre cathédrale était surmontée d’une magnifique gargouille dorée à l’or fin qu’il avait reproduite comme logo de l’entreprise.

Ce soir il fêtait les 50 ans de Ellstoys dans les salons privés du château de Saint-Germain. Il était inquiet parce que le temps était exécrable, la pluie tombait sans discontinuer depuis le matin. Une des gouttières dans l’angle du bâtiment se déversait sur les pierres de la cour et éclaboussait les convives qui arrivaient. Ce sale temps lui rappelait son voyage à Hanoï en pleine mousson qui aurait été désastreux sans la présence de ces jolies vietnamiennes au doux sourire, qui lui avaient fait oublier la moiteur ambiante.

La jolie Cléa accusait maintenant quelques rides, dix ans qu’elle représentait l’entreprise sans discontinuer partout dans le monde, il était temps de redonner un nouvel essor à la marque. Pierre songeait sérieusement à remplacer sa muse mais il ne savait pas comment le lui annoncer. La société de marketing avait sélectionné quelques nouvelles têtes envoyées par des agences de casting et prêtes à prendre la succession, elle n’attendait que son assentiment.

Ceci ajouté au mauvais état de santé de son père, cette fête s’annonçait sous de mauvais augures. La salle se remplissait, ministres et présidents de ceci ou cela accompagnés de leurs épouses ou de leur égéries sablaient le champagne tandis que le service était assuré par de jolies créatures aux sourires chaleureux.

Sur l’estrade un chevalet supportait le cadeau qu’on venait de lui offrir pour cette occasion, un tableau qu’il aimait particulièrement, le troisième exemplaire non détenu par un musée, intitulé : Champs de blé avec cyprès de Vincent Van Gogh, peint en 1889 à Saint-Rémy de Provence. Il détenait dans la poche intérieure de sa veste, le certificat de vente et celui d’authenticité. Il fut profondément ému de recevoir ce somptueux cadeau. À plusieurs reprises, Il s’était rendu à la National Gallery de Londres et au Metropolitan Museum of Art de New-York rien que pour regarder ce fabuleux tableau. Il aimait ce ciel tourmenté, ce cyprès plié et les blés courbés par les alizés, qui lui rappelaient ses jeunes années d’adolescent passées dans le Sud de la France.

Remercier Cléa ce soir lui coutait, d’autant plus qu’elle avait œuvré pour qu’il ait ce magnifique présent. C’est elle, qui dans l’ombre, avait contacté tous les invités pour lever des fonds et vaincu la résistance de l’ancien propriétaire à qui elle avait fait une offre mirobolante pour qu’il s’en dessaisisse. Elle était très fière d’elle, fière d’être la maitresse de Pierre.

Aussi lorsqu’il lui fit part des nouvelles orientations de la société dans laquelle elle n’avait plus sa place, elle se décomposa devant lui et lâcha le verre en cristal de baccarat qui se brisa en mille morceaux, faisant se retourner les gens autour d’elle. Avant de tourner les talons, elle lui lança d’une voix cinglante, portée par un silence de plomb : « Inspire-toi de tes sextoys parce que tu es vraiment un piètre amant. »

desmots, unehistoire

Les mots à utiliser :  élégance – prestance – raffinement – cruauté – barbarie – orgue – cathédrale – gargouille – gouttière – pluie – mousson – alizés – moiteur – douce – laine

Atelier d’écritures chez Olivia : des mots, une histoire

26 réflexions au sujet de « Le cinquantième anniversaire »

  1. Ma première visite du matin, Jean-Charles, est pour toi 😉
    Merci pour le grand Vincent V.G que j’aime tant ! Un cadeau somptueux 😆
    Une belle histoire, hélas, plus vraie que vraie… Dans la vraie vie, on jette sans remords ceux qui, sans relâche ont oeuvré pour la vie (la survie) de l’entreprise au profit de jeunes ambitieux sans expérience.
    Et, un grand principe, ne jamais travailler avec sa maîtresse ou son amant 😆
    Durant ma longue carrière, entre patrons et secrétaires par exemple, c’étaient toujours les secrétaires qui étaient sacrifiées !
    Bon we mouillé, pluvieux et froid 😥 beurkkk
    Je le disais bien, on va le payer ce beau temps précoce de mars 😉
    J’ai un grand principe (Oh ! pas qu’un, hein !) la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin 😆
    Gros bisous

    J’aime

    1. Bonjour soène… Que tu n’aies qu’un seul principe m’aurait surpris bien sûr mais tu t’es rattrapée. Un principe, pour dire, que tu vas quand même te promener malgré le temps…Bien ! J’aurais dit que la pluie du matin n’arrête pas le chagrin, mais non !
      Bien sûr ce sont toujours les plus petits qui prennent en cas de licenciement et il faut toujours des gens très diplômés pour en arriver là, étonnant non !
      Mais en l’occurrence, il s’agit juste ici de remplacer une muse vieillissante par une autre plus jeune, le prestige !
      Bon galops dame de la tour.

      J’aime

  2. Happy end réjouissant: il y a une justice, au moins. Remarque, quand on commercialise des sextoys en diamant, c’est qu’on s’intéresse plus au bling bling de l’objet qu’à la délicatesse de celle qui va s’en servir, parce que , bigre, ça doit gratter! Elle n’a donc rien perdu, et je gage qu’elle retrouvera du boulot. Je suis même sûre que tu serais partant pour la prendre, au moins a l’essai… 😉 j’adore tes phrases à double sens comme  » son père avait mis un point d’orgue(!) â pénétrer ce milieu fermé avec ses petits bijoux » Du grand Jean-Charles!

    J’aime

    1. Je ne sais pas si ces objets sont très fonctionnels dans ces matières « riches » mais il est vrai qu’avec des diamants, ça doit laisser des traces. Je la prends bien sûr, si elle est capable de soulever des montagnes par amour, elle est certainement capable de passer l’aspirateur, par nécessité. 😀 😀
      J’aime bien m’amuser à enfoncer le couteau ans la plaie, si tu vois ce que je veux dire. 😉

      J’aime

  3. Un sujet inattendu, des matériaux tout aussi surprenants pour ces sextoys destinés au milieu de la haute société. Une chose est sûre, le marché doit être juteux, quant on voit le cadeau que reçoit Simon Pierre de la Vigie. Très bien écrit (mais ça, ce n’est pas une surprise).

    J’aime

  4. Ce Simon Pierre de la Vigie, rien que cela, donne le ton, pour ce milieu, raffiné, si doué pour les horreurs, derrière le paravent BCBG. Tu ne peux savoir à quel point, ce témoignage me ravit; Jean Charles, ce fut un délice. Merci, mon ami.
    PS: ces si beaux objets, tant convoités, finalement, sont cachés dans un coffre?

    J’aime

  5. Ah tu me ravis Jean-Charles,
    je me croyais vraiment dedans, ce pourrait être un épisode de  » mes feux de l’amour  » dont je suis fen (ben oui et rigole pas)
    Super texte en tout cas j’ai aimé

    J’aime

  6. Hoooo !!! Haaaaa !!! Hoooo que ça doit faire mal ces petits bijoux (de famille) ! Je les laisse au coffre mais je ne m’en sers pas si on m’en offrait !!! Délaissée la Cléa mais que sa répartie est basse, très basse, elle ne sort pas avec dignité !!! C’est du grand JC aujourd’hui dis donc, tu nous le fais dans la soie en plus !!! Hi hi, j’ai rigolé et bravo, c’est très bien écrit (sauf quelques fautes !!! :roll:) (t’as fait relâche sur l’orthographe ???) bouh le vilain !!! Bises mon choupi !!! 🙂

    J’aime

    1. L’orthographe n’est pas ma tasse de thé, tu le sais bien, j’essaie de faire au mieux avec mes petits moyens. 😛 Devrait-elle avoir de la dignité dans ces moments-là ! 😛
      Je suis un peu sorti de mon cadre habituel, la soie et le champagne ne sont pas mon quotidien.. Bisous Asphodèle.

      J’aime

  7. Un autre défi hautement relevé!
    « Des jouets intimes aux matières exceptionnelles », une gracieuse manière d’exprimer la chose…. mdrrrr

    J’aime

  8. je trouve ton texte réussi, assez cinglant et réaliste en somme. Je trouve la répartie de Cléa pas très méchante ni très basse. Moi je lui en aurait fait avaler un de sex-toy avec sa coupe de champagne…

    J’aime

    1. La fin je la voulais cinglante et en rapport avec les joujoux, dire à un mec que c’est pas un bon coup, c’est quand même pire qu’une paire de gifles, que j’ai déjà utilisée la semaine passée.

      J’aime

À vous de jouer, quelques lignes pour vous exprimer :