La vengeance du hérisson (2)

 À la demande générale (ah bon !) j’ai continué le texte commencé la semaine passée, petit rappel pour ceux qui n’auraient pas suivi ici

Pierre Mabillon, le metteur en scène, après avoir vu les rushs était consterné. Lui qui était certain que tout était dans la boite réalisa qu’une séquence ne collait pas. Non qu’elle fût mal filmée ou que les protagonistes eussent joué faux mais simplement qu’elle ne s’insérait pas au montage. Énervé de sa propre incompétence il vitupéra, hoqueta et frisa l’asphyxie que seule une dose de Ventoline réussit à calmer. De la fenêtre de cette ancienne chambre de bonne qui lui servait de bureau il avait une vue imprenable sur tous les toits d’ardoise du quartier, pas très jolie, mais elle permettait toujours à son imagination de vagabonder et de combiner des scénarios de Lupin fuyants à grandes enjambées. Ces fantaisies avaient le don de l’apaiser et de lui redonner la joie de vivre.

Pour l’heure il lui fallait contacter de toute urgence la production et la convaincre de réunir l’équipe pour refaire cette scène dans laquelle on découvrait enfin l’assassin.

Lors du briefing avec les producteurs, ces derniers hurlèrent au scandale déclarant que c’était une folie, que le budget était largement dépassé et qu’il fallait trouver une solution moins couteuse pour terminer le film.

– D’abord, s’écria Zweiller, vous savez qu’Alain Delmon hiberne au Pôle Nord comme après chaque tournage. D’ailleurs on se demande pourquoi il exige des cachets aussi mirifiques pour vivre entre deux icebergs.

– Alain, j’en fais mon affaire, répondit avec assurance Mabillon. Nous avons travaillé ensemble sur le tueur à l’orchidée et sur chromosome de l’assassin, perfectionniste et méticuleux comme il est, ça m’étonnerait bien qu’il n’accepte pas. Quand à vivre aussi loin c’est par passion et ses émoluments subventionnent partiellement la recherche océanographique polaire.

Extirpant de son cartable un Dvd fraichement gravé, il expliqua :

– Voici un montage des scènes antérieures et postérieures pour vous faire une idée.

L’un des trois pontes de la finance cinématographique appuya sur le bouton rouge d’un boitier posé près de lui. Aussitôt quelqu’un frappa à la porte.

– Tiens Arsène, dit-il en lui tendant le disque, prépare la salle de projection nous arrivons dans 5 minutes.

L’assistant se contenta d’acquiescer et quitta la pièce.

Mabillon pensa que le combat n’était pas gagné mais que la discussion ne s’avérerait pas aussi difficile que ça.

Kilsky, le financier de l’Est, semblait le plus contrarié ; bouffant de colère il demanda d’une voix gutturale :

– Vous pensez en avoir pour combien de temps à refaire cette scène ?

– Un ou deux jours.

– En studio j’espère ? continua le Russe.

– Non en extérieur. À 200 kilomètres d’ici. Et j’ai besoin de toute l’équipe technique, et de comédiens tels que : Alain Delmon, Catherine Barneuve, Jean-Paul Bellondot, quelques figurants et le maitre-chien et ses bêtes.

– Mais nom de dieu, éructa le moscovite énervé en frappant violemment sur la table, vous vous rendez compte du pognon que ça va coûter ?

– Pas vraiment, moi je m’occupe avant tout de création le reste ne me concerne pas, répondit Mabillon avec détachement.

– Vous mériteriez qu’on vous fiche dehors éructa l’autre, excédé.

– Me ficher dehors, moi, c’est votre sempiternelle ritournelle ! Auriez-vous si peu de reconnaissance monsieur Kilsky pour oublier les millions engrangés par les bénéfices de mes films précédents ? Auriez-vous oublié le petit bureau minable dans lequel vous officiiez avant que l’on se rencontre comparé au luxe ostentatoire dans lequel vous vous pavanez aujourd’hui et dont je suis sans doute l’artisan ? Soyons clair mon bon monsieur, vous vous occupez de la partie financière et moi de la partie technique, vous produisez et je réalise ; chacun son métier et les vaches seront bien gardées.

– Allons bon ! intervînt Zweiller très paternaliste. Nous avons besoin les uns des autres et sommes là avant tout pour trouver des solutions.

En vérité je me foutais de ce petit prétentieux de Kilsky. Je ne voulais pas qu’il simagine devoir me dicter ma conduite. Depuis sept ou huit ans que je le connaissais, je ne l’appréciais pas. Ça n’était pas une révélation et je m’en arrangeais. Ce drôle de bonhomme avait une toquade pour les azulejos qui me faisait pouffer de rire. Il parcourait l’Espagne et le Portugal pour la satisfaire et rapportait à Moscou ces drôles de céramiques dont il recouvrait sa demeure clinquante.

L’assistant toqua une nouvelle fois à la porte et sans attendre l’ordre d’entrer fit savoir qu’il n’attendait que nous pour le visionnage.

Je ne les accompagnais pas, ils n’avaient pas besoin d’explication, c’était des professionnels du cinéma avec un jugement sûr.

Pendant ce temps, j’attendais dans une salle d’attente privée, en contemplation devant un aquarium tropical qui occupait tout un pan de mur. Je pensais à ce que m’avait dit un jour Zweiller me parlant de Kilsky « Il serait peut-être tant que vous l’apprivoisiez et nos rapports n’en seront que moins tendus. » Ça n’était hélas pas dans mes intentions.

Arsène vint me chercher pour m’emmener dans la salle de projection où m’attendaient les commanditaires. Leur mine réjouie semblait jouer en ma faveur. Et sur le côté de l’écran géant, sur une table nappée, une bouteille de champagne s’étirait dans un seau à glace lumineux.

Château prit la parole en faisant sauter le bouchon :

– Nous sommes d’accord il faut refaire la scène et faites-nous un putain de film comme vous savez en faire mon cher Mabillon.

Les mots imposés étaient 

Idée volée à 32Octobre qui j’espère me le pardonnera. 😳