Quai des Orfèvres

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Le capitaine Laflèche semblait soudain très affairé. Le commandant venait de le convoquer dans son bureau, c’était inhabituel. Machinalement il attrapa sa veste, prit un bloc et un crayon comme s’il allait en réunion et s’enfila dans le dédale de couloir vers le bureau de son supérieur.

Bien sûr il dut passer par le bureau de ses collèges pour se rendre à la convocation du commandant et subir les railleries de ceux-ci. Lafleur, le grand blond, lui tapota les fesses en disant ; « ça va ma poule ? » Laflèche le rembarra aussi furieusement qu’il put l’envoyant valdinguer sur le bureau près de la fenêtre. Lépitre, l’autre collègue, rit aux éclats et moqueur dit d’une voix de mêlécasse, censée l’imiter : « Je n’aime pas la tiédeur des sentiments. » Le capitaine Laflèche hissa la main droite, le majeur haut levé à son encontre et murmura : « Vas te faire foutre. »

Derrière la porte en verre, un furibard : « C’est quoi ce bordel ? » mit fin instantanément au pugilat qui semblait s’initier.

Le feu aux joues, Laflèche frappa à la vitre de la porte du bureau et attendit l’ordre. « Entre » hurla la forme masquée derrière le verre cathédrale. « C’est toi qui fous la merde » dit-il sans lever la tête. Le commandant Durieux, une peau de vache finie, termina son boulot, cocha une case, tourna une page, revînt en arrière, biffa une phrase puis soudain, tapant des deux mains sur le bureau, hurla : « assieds-toi. »

Laflèche resta debout.

« Dis donc petit con, c’est pas parce que ton oncle travaille au Ministère de la Justice que tu vas m’emmerder. » Laflèche sourit ouvertement depuis sept ans c’était toujours la phrase qu’on lui balançait mais il répondit : « Eh ducon tu veux te retrouver aux archives à compter les araignées, t’as qu’un mot à dire et j’te pistonne. »

L’autre releva la tête, le visage colérique, les dents serrées et grommela : « Ta gueule. » Laflèche sourit ouvertement : « Toi et tes deux petits pédés d’à côté, je vous conseille s’arrêter de me faire chier. » Il sortit de sa poche un téléphone mobile allumé qu’il tendit à son supérieur.

Interloqué, l’autre le regarda, posa le combiné sur son oreille gauche et écouta : « Commandant Durieux, je suis le lieutenant-colonel Laflèche, détaché auprès du Ministre de l’intérieur, je ne sais pas quelle mouche vous a piqué, j’ai tout entendu depuis l’altercation avec vos sous-fifres jusqu’à la façon dont vous apostrophez mon neveu. Sa carrière est toute tracée et en tout état de cause je ne laisserai pas une bande d’incapables se mettre en travers de sa route. Je lui ai conseillé d’enregistrer toute les conversations, comme cela a eu lieu en haute sphère, s’il vous venait à l’idée de ne pas lui rendre son téléphone, sachez qu’il a dans sa veste un enregistreur numérique haut de gamme et que la discussion que nous tenons en ce moment est aussi enregistrée, n’importe quelle absence suspecte de mon neveu vous incombera, c’est clair ? »

Le capitaine Laflèche était toujours debout adossé à la cloison, un sourire au coin des lèvres. Il dévisageait son supérieur. Durieux était rouge de colère, comme un taureau aiguillonné par les banderilles d’un picador, pour un peu le capitaine sentirait l’haleine chaude et fétide de l’animal blessé sortir par ses narines poilues. L’interlocuteur continua :

« Appelez vos deux bras droits, Lafleur et Lépitre, et dites à ces petites fientes que sous quinze jours, ils devront se présenter au commissariat du 13eme arrondissement de Marseille. Nous renforçons les effectifs là-bas et j’ai comme l’impression qu’ils vont un peu serrer les fesses, ça leur fera du bien. J’entends votre fax commandant, si c’est ce que je pense, nous faisons appel à vos compétences, ceci était épinglé sur le sein gauche de la maitresse du Ministre de l’Intérieur, retrouvée morte ce matin. Je vous invite à faire travailler vos méninges très, très vite, vous êtes assis sur une poudrière. Vous avez sept jours pour résoudre ce petit problème. À bientôt. »

Laflèche reprit son téléphone, attrapa le fax qu’il remit à son commandant, qui lût tout haut : « soutien – famille – convivial – repas – réunion – confrérie – confrontation – humilité – orgueil – arrogance – mépriser – morgue – autopsie – trouver – réponse. »

desmots, unehistoireÉcrit pour l’atelier d’écriture d’Olivia avec les consignes suivantes :

Soit vous prenez tous les mots, soit vous n’en sélectionnez que cinq et vous ajoutez la consigne suivante : un des personnages doit dire « je n’aime pas la tiédeur des sentiments ».

Et la liste de mots que j’ai utilisée telle que :

soutien – famille – convivial – repas – réunion – confrérie – confrontation – humilité – orgueil – arrogance – mépriser – morgue – autopsie – trouver – réponse

25 réflexions au sujet de « Quai des Orfèvres »

  1. Moi non plus, je n’aime pas la tiédeur des sentiments…
    Ton texte me rappelle une histoire qui se passait au 36, et que j’avais écrite il y a quelques années.
    Je la publierai peut être…
    Bises célestes

    PS un petit extrait

    [Tout n’était que calme et volupté. La pensée de son commissaire adoré excita soudain Laura, qui se dit qu’il fallait rendre cette journée inoubliable. Un petit fourmillement familier faisait dresser délicatement les pointes de ses seins, et se soulever son ventre.
    Apercevant en contrebas un austère bâtiment à trois étages qu’elle connaissait bien, elle décida d’aller rendre une petite visite à l’as du 36. Dès fois qu’il apprécierait une petite récréation au beau milieu d’une enquête de routine. Quand elle arriva devant la porte, les braves cognes en faction la laissèrent passer avec un sourire bovin. Ils connaissaient sa petite gueule par cœur, et ne se seraient pas permis d’ennuyer la petite amie du patron…]

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    1. Ça me parait tout bien cela Célestine… tu devrais le publier, ej suis sûr que bon nombre de tes fidèles apprécieraient et puis c’est un bon moyen de les faire rester.
      Je croyais que ça sortait de L’orteil d’Apollon. 😛

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  2. Quel langage fleuri ! 😀
    Je me demandais quel serait le participant qui craquerait le premier (j’ai hésité plusieurs fois à le faire 😉 ) et mettrait la liste « tout simplement ». Bravo, bien trouvé !

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    1. Eh bien voilà tu as trouvé celui qui ose faire ça. 😛
      En fait je n’avais pas d’idée et je voulais participer et l’idée m’est venue hier soir vers 9 heures… Un des rares textes écrits d’un seul jet.

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  3. j’aime beaucoup ton texte il vaut bien (enfin même je préfère ) un des derniers auteurs de romans policiers que j’ai lu et place ses personnages en ce lieu mythique
    un petit langage fleuri comme le dis si bien Olivia , enfin l’ambiance y est c’est très réussi une suite maintenant

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  4. Tant que ce n’est pas toi qui vire au vert hein ! T’es culotté de mettre la liste comme ça, trop facile hein mais bon fallait pas te couper la chique (pardon l’inspiration) donc tu as bien fait… 😆

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    1. T’as vu j’ai eu le culot de faire ça, faut être gonflé ! 😀
      En fait jusqu’à hier je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire de ces mots qui ne m’inspiraient pas et j’ai eu cette idée foireuse qui m’a fait sourire 😮 évidemment je ne pourrais pas recommencer.

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  5. Marrant ! J’étais partie pour mettre la liste, comme ça, tout de go, avec le souvenir de ma prof qui nous faisait rédiger sur des mots hétéroclites… Et puis, je me suis dit que c’était un peu facile. Mais dans ton texte, que j’adore parce qu’il transpire le -presque- vrai (le « presque » est à vérifier), ça tombe pile et juste !

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    1. Pure invention que ce texte mais j’avais envie de tacler les gens qui se promènent avec un enregistreur numérique et épient les autres à leur insu ( à l’insu de moi-même comme dit le coureur cycliste) 😳
      Mais tu aurais dû le faire, copier la liste comme ça, de but en blanc parce que maintenant !!! 😀

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  6. Tu as un nouvel inspecteur plein d’avenir, j’espère pouvoir suivre ses aventures ultérieures. 😀 Il promet celui-là. 😉 Superbe entrée en matière, il faut continuer, maintenant. 😀

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  7. Combien d’écrivains n’ont pas été fascinés par cette maison centenaire. Pour y avoir un ami qui y travaille, j’y suis allé, l’odeur de la pipe de Maigret imprègne encore les tapisseries…

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  8. je n’aurai donc pas pu être ni commissaire ni capitaine et encore moins commandant, quelle merdouille ! ceci dit j’ai bien ri et c’est bien écrit et décrit,très agréable à lire

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À vous de jouer, quelques lignes pour vous exprimer :