Le casse

bijouxLe 4×4 remontait la rue à vive allure en zigzagant d’un côté à l’autre pour s’insérer dans le flot des voitures le plus rapidement possible. Au volant, Fred Lenoir surveillait les flics dans le rétroviseur, sans inquiétude. Autant lui s’amusait, autant il sentait le fonctionnaire qui essayait de le talonner, fébrile.
Fred Lenoir, était un petit truand récidiviste, braqueur de bijouteries, au casier judiciaire chargé. Fleury-Mérogis l’avait accueilli par trois fois. Pour l’heure, il venait de braquer un bijoutier, un peu plus haut dans la rue de Rome, défonçant la vitrine à coups de masse, s’emparant de tout ce qu’il avait pu déverser en un temps record, dans une espèce de tablier de caviste à poche ventrale, il avait pris la fuite sans demander son reste..
Le 4×4 s’enquilla dans les embouteillages devant la gare du Nord. C’était l’heure de sortie des bureaux, la cohue. Certains flânaient devant les magasins tandis que d’autres presque au pas de course remontaient la rue pour attraper le prochain train de banlieue.
S’il fut gêné par des conducteurs asthéniques au volant, Lenoir n’hésita pas à les pousser un peu pour les faire dégager. Le véhicule avait été volé hier et peu lui emportait que les pare-chocs ou la calandre subissent quelques dégâts.
Le bus dans son couloir suivait son itinéraire et le chauffeur semblait décidé à l’empêcher de tourner à droite. Sans doute avait-il entendu les sirènes de la police qui le poursuivaient mais Lenoir était un danger public et prendre des risques inconsidérés ne lui faisaient pas peur.
Il sentit son taux d’adrénaline grimper en flèche, inconsciemment il serra les fesses sur le siège en cuir beige, braqua complètement les roues à droite et tout en accélérant vira en laissant de la gomme sur le bitume, juste devant le bus qui stoppa brutalement. Fred Lenoir esquissa un sourire en pensant aux voyageurs qui allaient s’étaler par terre dans l’autobus. À la sortie du dérapage, le 4×4 se redressa en heurtant de l’arrière une Mazda qui finit sa course sur les véhicules à contresens. Un bel accident qui gênerait la progression de ses poursuivants.
Coup d’œil rapide dans le rétro, les flics étaient bloqués dans la circulation. Il leva l’index de sa main droite en l’air à l’attention de la maréchaussée. Il accéléra tranquillement sur la voie dégagée, deux rues plus loin dans un parc de stationnement, il échangerait ce véhicule trop voyant contre sa BMW 320 surgonflée.
Il fouilla dans sa poche à la recherche de son butin, attrapa sur le fauteuil passager, le passe montagne qui lui servait à garder l’anonymat, qu’il rangea par-dessus les bijoux. Il caressa machinalement le Saint-Christophe collé sur le tableau de bord en teck et décrocha du rétroviseur le pendentif en forme d’abeille qu’il mit dans sa poche.
En face, la circulation frisait le point noir, cher à Bison Futé, un concert de sirènes, pompiers et ambulances mettaient de l’animation dans la rue. Heureusement l’entrée du parking souterrain n’était plus qu’à 100 mètres, en dessous d’un immeuble de bureaux. Il s’y engouffra tandis que le vigile, le téléphone rivé à l’oreille, détaillait avec insistance le véhicule abimé.
Fred Lenoir, attendait en vain, le ticket qui ferait se soulever la barrière. Sans interrompre sa conversation le vigile remua l’index pour lui faire comprendre qu’il devait prendre l’autre entrée.
Il recula doucement, avança vers l’autre accès, appuya sur le bouton, empocha le ticket et roula calmement après que la barrière fut remontée. Au deuxième sous-sol, il fit l’échange de voiture et déguerpit par l’autre sortie, c’est pourquoi il utilisait ce parking.
Il entendit au loin, le ballet des ambulances qui sûrement faisaient la navette entre l’accident et l’hôpital voisin. Entre le casse et l’accident, il avait mis une belle pagaille dans le paysage urbain. Il sourit, satisfait de lui.
Il atteint enfin la rue de Théâtre en fin d’après-midi, gara son véhicule, poussa la grille, s’enfila dans la cour pavée, descendit les marches usées à droite et frappa à la porte qui se déverrouilla automatiquement.
Au fond de la pièce, Vito Gascio, les mains à plat sur le bureau vide, l’œilleton rivé sur l’œil gauche l’attendait. Debout derrière lui, impassible, Bosco dit le tueur, Guérini le surineur referma la porte.
— C’est toi qui as mis ce bordel cet après-midi dans les rues ? demanda Vito.
Lenoir acquiesça, posa la mallette sur le bureau, l’ouvrit et s’assit sur la seule chaise en ferraille disponible, face au bureau. Vito Gascio prit une bague sertie de diamants, l’examina, leva l’œil droit vers lui et la reposa sur le bureau. Cette fois, il prit un bracelet en or, l’ausculta, leva un œil vers lui et le reposa sur le bureau. Il recommença la manœuvre plusieurs fois, mêmes scénarios.
Retirant son œilleton, Vito Gascio fixa durement Lenoir et l’interrogea :bague-sertie-de-diamants-cz-clairs
— Tu te fous de ma gueule ?
Lenoir surpris répondit :
— Je ne comprends pas ! se levant d’un coup, faisant chuter la chaise.
— Tes bijoux là, sont des faux, des imitations pour vitrine.
— T’es sûr, t’essaies pas de me doubler ?
Il ne sentit pas le couteau qui lui trancha la carotide dessinant un demi-cercle d’une oreille à l’autre. Le sang gicla tandis que dans sa tête défilait en litanie, les mots de son père : « Tout se paye, un jour où l’autre ! »

Texte écrit pour les plumes d’Asphodèle

Les mots à utiliser : Voiture, rue, immeuble, abeille, théâtre, anonymat, animation, pavé, visite, parc, bitume, bus, fuite, flâner, embouteillages, urbain, gare, cohue, chuter, constant ou constance, hôpital

J’ai oublié : constance ou constant parce que parce que !

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42 réflexions au sujet de « Le casse »

  1. Wouah ! Une super histoire, tellement prenante. En effet, tu as l’air de bien connaître le monde des truands toi… 🙂
    La course poursuite est haletante et très bien rendue. Franchement, c’est un très bon texte.

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  2. A quand un scénario, tu es fin prêt!
    J’avais un copain rencontré dans le désert en Iran (en 2 CV,( en1967) Michel Sibra « :La saoul avec Bohringer, des années plus tard », qui à l’époque , écrivait des polars , et un scénario: « le pendu ». Depuis, il a réalisé plusieurs Maigret. Nous avons fait route jusqu’à la frontière Afghane.
    En te lisant , je me suis dis, sa carrière est toute tracée.
    A toi de jouer!.
    Amitié
    Dan

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  3. Héhé, un texte parisien toi aussi ! Haletant ton texte, ça ne doit pas être évident d’écrire une scène d’action aussi vive, et j’ai bien aimé le passage où il sourit à l’idée des passagers tombant dans le bus 😉

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    1. Parisien oui si tu penses aux rues que j’ai citées mais à vrai dire, ça n’avait pas d’importance. Par contre, écrire ce genre de texte n’est pas difficile, je l’ai écrit d’un seul jet ce qui n’est pas coutume chez moi.
      Au moins ce passage t’a fait sourire, je pensais que ce côté cynique allait plutôt faire grincer des dents. 😀

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  4. Quand tu dis que tu as écrit le texte d’un seul « jet » cela prend un relief assez particulier vu ta fin…
    mais j’avoue malgré mon aversion pour l’hémoglobine, avoir particulièrement apprécié le déroulé ample de tes mots.

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    1. Mais Célestine il ne s’agissait que d’encre, bien entendu. Quant au sang je n’aime que le mien avec sa quantité de sucre, de cholestérol, ce qui le rend si agréable à lécher, je suis glucide parfois. 😉

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  5. C’est vrai que les mots m’ont inspiré pour décrire une scène en voiture dans la ville, une invitation au « macabre » peut-être
    mais toi alors tu n’y vas pas de main morte
    ouillouillouille

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  6. Y’a du monde, chez toi, J-C pour ton casse !
    Et moi, j’étais dans le bus et comme je ne me tenais pas des deux mains, j’ai valsé 🙄 😆
    Comme tout ça est plus vrai que vrai, j’ai bien aimé, à part le doigt d’honneur 👿
    Et Wens ? tu aurais pu le nommer en surineur, au lieu de ton Guérini !
    Bonne semaine et gros bisous

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    1. Tiens tu t’es égarée sur la toile Nisoène 😀 😀 Et puis ça t’apprendra na il faut toujours te tenir dans l’autobus ! 8) J’ai pris Guérini parce que c’est vraiment la mafia ça au moins… 😀 😐
      Bonne fin de semaine; il a fait super beau aujourd’hui.
      Bisous

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