Tigre, Tigre de Margaux Fragoso

Ce livre m’a été envoyé gracieusement par Olivier Moss dans le cadre de la rentrée littéraire chez PriceMinister. Merci mais surtout mille excuses de n’avoir pu faire ce billet dans le temps imparti. Si mon commentaire est hors délai c’est parce que ce livre m’a posé de nombreux problèmes, j’ai dû arrêter ma lecture un certain nombre de fois parce que je me sentais mal avec ce que je lisais. On pourra peut-être me dire : Pourquoi avoir choisi ce livre ? Je n’ai pas la réponse.

Ce livre je l’ai fini il y a longtemps mais je n’ai jamais réussi à en écrire une seule ligne, si je le fais maintenant c’est parce que je me sens acculé. Je pense que mon avis ira à l’encontre de tout ce que l’on a pu lire à son propos.

Je dirai juste à Margaux Fragoso, l’auteure de cette biographie bravo mais quelle ambiguïté.

« J’ai commencé à écrire ce livre l’été d’après la mort de Peter Curran. J’ai rencontré Peter quand j’avais sept ans et j’ai eu une relation avec lui pendant quinze ans, jusqu’à ce qu’il se suicide à l’âge de soixante-six ans. »

Tels sont les premiers mots de ce livre. Et deux pages plus loin, Margaux raconte : « J’ai encore douze carnets à spirales de lettres quotidiennes, toutes datées, toutes commençant par « chère Princesse ».

C’est à la piscine que tout a commencé et c’est Margaux qui est allée vers Peter. Puis à la demande de cet homme, Margaux et sa mère, sont venues avec lui, chez lui. Et quoi de plus facile que l’étrange zoo dans lequel il vit pour séduire une petite fille de cet âge, que de si étranges animaux. Parce que Peter s’occupe de Margaux, chose que ni sa mère, ni son père ne sont capables de faire, Margaux à l’impression d’exister.

Sa mère est schizophrène et son père joaillier Portoricain, nerveux, râleur, dirige sa maison avec la précision d’un horloger Suisse. Sa mère ne fait rien à la maison mais part régulièrement à l’hôpital pour des séjours prolongés afin de trouver le bon dosage de ses médicaments. C’est le père qui fait marcher le ménage, qui travaille, qui prépare à manger, qui fait la vaisselle et qui les oblige à vivre à sa manière. « Il hurlait que nous l’avions condamné à une vie de malheur. »

Si Margaux aime Peter et passe autant de temps avec lui c’est pour combler ce manque d’amour que nul ne lui donne.

Le tigre est une histoire que Peter et Margaux inventent puisqu’ils passent beaucoup de temps ensemble. Peter l’écoute. Peter la fait rire. Peter la regarde. Peter lui montre qu’elle est une personne importante. Peter la met en scène, la manipule, la rend heureuse.

Margaux est bien trop petite pour comprendre ces façons insidieuses et sa mère qui l’accompagne chaque jour, trop naïve, trop égoïste ou trop malade pour se rendre compte. Quand Peter lui fait « un rapide baiser sur les lèvres », pour la remercier, pour la féliciter « en vérifiant que personne ne regardait. » Ils partagent un secret ; ils ont 44 ans de différence, elle en a sept et lui 51.

Il l’emmène souvent dans la cave, pour s’isoler avec elle, puis il la fait chevaucher sa moto qu’il met en route et la petite perçoit dans son corps d’étranges sensations. Tout est prétexte pour qu’elle l’embrasse, et le bisou est la récompense, « Je m’approchais pour lui donner un bisou sur la joue, mais il tourna la tête pour que mes lèvres rencontrent sa bouche. »

Et c’est pour ses huit ans, sous prétexte lui rappelle-t-il, que : « tu as promis, l’autre jour : tu as dit que tu ferais tout, tout ce que je voudrais, et j’aimerais que tu essaies de faire quelque chose de très spécial et agréable. Quelque chose que les gens qui s’aiment, comme nous font ensemble. » Peter veut une fellation que Margaux ne veut pas faire parce que c’est l’endroit par lequel « tu fais pipi » dit-elle et cette idée lui soulève le cœur. Alors Peter s’acharne à lui rappeler qu’elle a promis de faire tout ce qu’il voudrait. Mais il n’obtiendra pas gain de cause ce jour-là.

Cependant Margaux cède à la volonté de Peter. Puis s’enchaineront « fellations et branlettes » Peter ne la déflorera pas mais Peter ne la léchera pas non plus même si elle le souhaite parfois parce que Monsieur à un blocage.

Quand son père l’empêchera d’aller chez Peter, parce que les ragots vont bon train. Elle ne mangera plus, deviendra irritable et se mettra à vomir constamment.

« Peu après mon douzième anniversaire, Peter me dit qu’un baiser avec la langue, à la française, serait vraiment romantique. Dans mon esprit ça n’avait rien de romantique, et ça ne l’était pas autant que de se faire un câlin, mais je savais que quand il se mettait une idée en tête il n’abandonnait jamais. »

« Peter en me harcelant, avait perturbé jusqu’à ma mémoire : nous nous étions déjà embrassés comme ça, à l’époque où il en faisait un jeu. Eh bien cette fois il va falloir qu’il paie : cinquante cents. » parce que Margaux est amoureuse de Ricky, fils d’Inès ex-concubine chez qui il vit, mais Ricky s’en fiche.

Peter et Margaux inventent Nina et un garçon « Il y en avait un qu’elle obligeait à porter un collier électrique ; elle le contrôlait par télécommande, et exigeait de lui qu’il la lèche tous les jours. Je jouais les deux personnages – le garçon et Nina. À l’occasion j’insistais pour donner à Peter sa ration de sexe en jouant un garçon qui faisait semblant d’être une fille. Quand je tenais ce rôle-là, j’avais une sensation de liberté aussi grande que quand j’atteignais le sommet de la Grande Roue avec ma mère. En garçon, j’étais plus loin que jamais de ma vie. »

Pour éviter de faire un commentaire bien trop long voici le résumé de l’éditeur :

Par une belle journée d’été, Margaux Fragoso rencontre Peter Curran à la piscine de son quartier, et ils commencent à jouer. Elle a sept ans ; il en a cinquante-et-un. Quand Peter l’invite chez lui avec sa mère, la petite fille découvre un paradis pour enfants composé d’animaux exotiques et de jeux. Peter endosse alors progressivement, insidieusement, le rôle d’ami, puis de père et d’amant. Charmeur et manipulateur, Peter s’insinue dans tous les aspects de la vie de Margaux, et transforme l’enfant affectueuse et vive en une adolescente torturée. Lyrique, profond et d’une limpidité hypnotique, Tigre, tigre ! Dépeint d’une manière saisissante les forces opposées de l’emprise et de la mémoire, de l’aveu et du déni, et questionne nos capacités de guérison. Un récit extraordinaire qui dévoile de l’intérieur la pensée d’une jeune fille au bord de la chute libre.

Mon avis, mes interrogations :

Ce livre est bien écrit et tout le monde vous le dira. Ce qui m’a gêné, c’est d’avoir l’impression que cette relation était une relation consentie. Était-ce du fait de cette écriture dans laquelle chaque mot, chaque tournure à sa signification ?

Parfois j’ai été obligé de prendre de la distance avec ce bouquin pour ne pas le jeter. J’ai été irrité, troublé, dérangé par cette lecture : comment peut-on avoir envie d’une petite fille de sept ans ? Et Peter et clair là-dessus et Margaux l’aura compris plus tard, c’est bien l’âge qu’il préfère. Elle se rappelle que même adolescente les photos d’elle, gamine, sont accrochées au mur.

Avec le recul, je trouve les personnages caricaturaux : la mère trop malade, le père trop excessif, Peter trop« salaud », Inès trop tolérante et ses enfants trop drogués, baba-cool. Une faune bien étonnante qui a permis à ce pervers de profiter de la situation.

Si parfois je me suis énervé sur ce livre, est-ce à cause du détachement avec lequel Margaux Fragoso raconte son histoire ? Est-ce sa façon d’écrire, sa façon de narrer qui m’a incité à penser qu’elle était consentante ?

Elle ne donne jamais aucun avis sur Peter. Elle relate ses quinze ans avec lui.

Comment cette relation a-t-elle pu exister ? Cet homme avait un passif si lourd comme le découvrira Margaux après sa mort, pourquoi n’a-t-il pas été plus surveillé ? Cette relation n’a pu exister que grâce au laxisme d’un entourage qui n’a pas voulu voir, ou même à la police de ne pas l’avoir surveillé plus étroitement.

J’ose croire que cette triste histoire n’a pu s’épanouir que dans un contexte bien particulier. Je ne doute pas qu’elle soit réelle, je me dis que, pour que Margaux ait vécu cela, elle vivait dans un monde qui se regardait trop le nombril.

Aujourd’hui Margaux est prof, mariée, mère d’un enfant et c’est bien ce qu’on peut lui souhaiter de mieux..

Biographie de l’auteur

Margaux Fragoso est née à Union City dans le New Jersey en 1979. Tigre, tigre ! est son histoire. Il est en cours de publication dans 24 pays. Touchée par la force de ce récit, Marie Darrieussecq en a assuré la traduction.

Comment mettre une note à ce livre et quelle note ?

14/20 pour Margaux, pour avoir fait sa thérapie par l’écriture, ce que j’espère. Conseiller ce livre à un ami, me serait bien difficile en tout cas.

Voici le lien sur PriceMinister : http://www.priceminister.com/offer/buy/165090332/tigre-tigre-de-margaux-fragoso.html

Voici ce qu’en a dit Celine  G ou celui du sentier des mots

12 réflexions au sujet de « Tigre, Tigre de Margaux Fragoso »

  1. Je suis d’accord avec ce que tu écris.
    J’ai aussi été très gênée par ce récit, et surtout par la façon dont il est raconté.
    Effectivement, on a l’impression tout le long que la fille était vraiment consentante et dans tout le livre, elle ne nous donne jamais d’indice qui pourrait supposer le contraire (ou si peu).
    C’est certainement un parti pris, l’envie de rendre le récit à l’image de ce qui se passait exactement dans sa tête, à l’époque des faits.
    À nous après de réfléchir et de nous dire que depuis, elle a pris du recul et qu’elle a compris la monstruosité du bonhomme.
    J’espère que c’est cela qu’il faut comprendre.

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    1. J’ai répondu à ton commentaire bien sûr mais les aléas de la technique en ont voulu autre ment.
      Livre difficile pour moi, qui m’a laissé d’étranges sentiments dont cette ambiguïté constante dans le récit qui m’a fait m’interroger : relation forcée ou consentie ?
      Bien des fois je me suis énervé et j’ai abandonné cette lecture parce que l’impression dominante était une relation admise et cette idée me dérangeait.
      Cependant si cette femme, enfant d’abord, racontait son calvaire et que la presse unanime saluait cette biographie, il y avait sûrement des passages que j’avais sautés. Une question sourde revenait : est-ce que cet homme était si monstrueux ?
      Oui bien évidemment !
      Mais est-ce que cette petite fille ne lui a pas tendu le bâton pour se faire battre ?

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  2. Je vais passer mon tour sur ce livre 😉
    J’en profite pour te dire que ta bannière est magnifique et que j’aime beaucoup les titres présentés : »écriture thérapie », « écriture de vos enfants » devenir écrivain » . Pour John Fante,j’en ai lu un de lui (avis mitigé il faudra que je réessaye ), et le Vian je n’arrive pas à lire le titre 😉
    tu les as tous lu ? la photo est de toi?

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    1. De Vian cest « Les morts ont tous la même peau »
      Oui la photo est de moi et les bouquins sont à moi. Je n’ai pas tout lu parce que j’ai horreur de me prendre la tête en lisant. Tu veux que je te prête quelque chose ?
      L’univers Fante ou Bukowsky : écrivain raté, alcoolique dans une Amérique vertueuse des années 40, 50 vertueuse, me plait bien.
      Bon week-end :-°)

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  3. Je n’avais pas entendu parler de ce livre. Ta chronique est vraiment intéressante et dépasse la loi du genre. Effectivement, 7 ans c’est très choquant pour débuter une relation sexuelle avec un vieux comme Peter. Je ne sais quoi en penser, je ne lirai pas ce livre mais j’ai apprécié de suivre le fil de ton ressenti.

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  4. J’ai relu ta chronique au calme, quand tu l’as publiée j’étais pas trop disponible !! Bon eh bien, il ne me tente pas du tout du tout;, déjà avant ta chronique mais là, il faudrait que je n’ai que ça à lire sur une île déserte ! Bises 🙂

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  5. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à « Lolita » en lisant ta critique… même si c’est très différent : pas autobiographique, l’écriture de Nabokov n’a sûrement rien à voir et Lolita est quand même un peu plus âgée. Mais sur le côté « consentant ». Là, en effet, ce doit être étrange de ressentir le détachement de l’auteure mais c’était probablement la seule façon dont elle a pu l’écrire. Je suis quand même curieuse de le lire.

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