La muse Hic et moi

J’étais assis dans le fond du wagon à regarder ces gens autour de moi. Je visais sans regarder, manipulant l’appareil sur mes genoux et déclenchant l’obturateur discrètement pour ne pas être remarqué. En fait je tripotais mon reflex plus par habitude que par envie. J’avais autre chose en tête.

Je fixais l’homme à l’instrument me demandant ce que pouvait contenir cet étui mais l’écrin n’avait pas les formes généreuses d’un corps de femme. J’avais donc éliminé la guitare et le violon pour cette raison et parce que le manche me semblait trop court par rapport à la taille de la boite. En fait je penchais pour un bouzouki, cet instrument à cordes que l’on entend dès que le port du Pirée apparaît. Le bonnet enfoncé, la mâchoire carrée, ce musicien me faisait penser à Marcel Bozzufi, allez savoir pourquoi !

Je mitraillais avec mon appareil, prenant les photos en rafale pour être sûr d’en récupérer une ou deux de bonnes. Vu l’angle de prise de vue, ce n’était pas certain. Et puis j’avais la tête ailleurs.

Je venais de me fâcher avec mon fils et j’en étais encore bouleversé. Il était parti de chez moi en claquant la porte, lançant un « Adieu » glacial.

J’avais sans doute eu un mot déplacé à propos de sa mère. Si bien qu’il me vola dans les plumes, me reprochant mon sale caractère, mon autorité abusive ainsi que mon égoïsme forcené et bien d’autres choses. Ce n’était évidemment pas la première fois qu’il me tenait ce discours, mais hier il était particulièrement agressif, prêt à lever la main sur moi. Il savait au moins une chose, c’est que je n’avais pas pour habitude de me taire et que, lorsque le ton montait, je savais aussi élevé la voix. Cependant dans sa colère, il n’avait pas pensé un seul instant que je pouvais, malgré son âge, lui donner une gifle. Je l’ai fait. Il se tut soudain. Enfila son blouson et sortit.

J’avais passé la soirée à cogiter en écoutant John Coltrane jouer Stardust ou My favorite things ou encore You leave me breathless. Son saxo me remuait les tripes. J’avais accompagné ces notes d’une bouteille de Nikka Taketsuru que j’avais vidée entièrement. Le Taketsuru était mon péché mignon, c’était le meilleur « pure malt » du monde ; il dégoulinait dans le gosier comme un pipi de jeune fille disait mon grand-père, pour finir par vous dorloter l’estomac. Ce qu’il y avait d’ironique c’est que ce whisky, c’est mon fils qui me l’apportait toujours, connaissant mon engouement pour la chose.

Mais la gifle, le whisky et le saxophone avaient eu raison de moi. Je m’étais endormi dans le fauteuil, ronflant plus fort que le grésillement du vinyle sur la platine qui tourna en boucle toute la nuit, la bouteille vide, blafarde, gisant à mes pieds comme un chien fidèle.

J’avais la gueule de bois le lendemain matin et ce maudit train n’arrangeait rien, Coltrane bourdonnait dans mes oreilles en même temps que le tempo lancinant des roues sur les rails. L’homme à l’instrument lisait Tigre, Tigre ! de Margaux Fragoso je me souvenais de ce livre qui m’avait laissé une impression mitigée, entre incrédulité et dégoût.

La sonnerie de mon Iphone me sortit de mes états d’âme. Mon fils venait de m’envoyer ce message : « Je ne serai pas très loin de ton bureau ce midi, on déjeune ensemble ? » Le soleil se mit à briller dans le wagon, mon mal de crâne se dissipât instantanément et j’avais presqu’envie que le gars nous joue quelques airs avec son bouzouki tant la vie était belle.

Vous trouverez les autres textes à l »atelier d’écriture : une photo, quelques mots chez Bricabook.

29 réflexions au sujet de « La muse Hic et moi »

    1. Merci !!!
      En fait j’ai fait des recherches sur internet avant de me lancer et quelqu’un m’aurait parlé d’un bouzouki avant d’écrire ce texte, j’aurais certainement sorti un bazooka pour le flinguer. 😀 😀

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        1. Je ne dis pas que ça n’est pas joli, je dis qu’en prononçant ce mot j’aurais subodoré qu’on se fichait de moi 🙄
          Mais en fait c’était juste pour jouer avec les mots bouzouki, bazooka, je trouvais ça drôle.
          Tu veux pas reprendre un prozac ? 😀

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  1. Et hip !!! Encore un cadavre !!! Choupinet les problèmes ne sont pas solubles dans le pur malt, sinon le Prozac n’existerait pas !!! Une fin heureuse c’est déjà pas mal ! Je vois que le photos de metro reviennent, c’est de saison ! 😆

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        1. Non le whisky nippon est réputé d’excellente qualité. On en trouve dans les magasins nippons et en vente sur internet, le prix est un rappel à l’ordre. Il en existe un qui vaut la modique somme de 775€ la bouteille.:-)

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        1. Non, non ça ne l’est pas. Jamais mon fils et moi ne nous sommes fâchés et je ne crois pas qu’il me provoquerait. Il est bien élevé d’ailleurs ce garçon ; dans quelques jours, on fêtera ses 31 bougies. 😛

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  2. Ping: S’exiler |
      1. Suite à un problème technique, je me pose ici !
        Encore un beau texte, tu as décidé de t’assagir ?
        Bien trouvé, l’instrument, avec le bonnet noir en plus on dirait bien un Grec, le musicien qui lit.
        Bon Anniversaire à ton ptit Scorpion 😆 Bises

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  3. Et moi qui n’avais même pas fait attention à la forme spéciale de l’étui … (shame on me) . Je me suis plutôt mise dans l’esprit du voyage plutôt que de la musique (oui c’est mon excuse ^^) Sinon j’aime ces récits désespérants avec la lumière à la fin qui éclaircit tout =D

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