Adieu Nina

Mes souvenirs me harcèlent, me dérangent. Suis-je en train de perdre la tête ? Je rêve, je me réveille et Nina me hante, encore !

Nous n’avions que 5 ans et pourtant cette petite blonde me rendait fou. Elle était capable de m’embrasser puis aussitôt de me pincer sous le bras gauche. J’aimais ses baisers qui me laissaient chaque fois des souvenirs cuisants mais je ne savais jamais si c’était la morsure de ses ongles sur ma peau ou la chaleur de ses lèvres sur mes joues qui me manquaient le plus.

Son père était tapissier, rue Saint Dominique et je ne comprenais ce que ces clous ronds avaient à voir avec une religieuse ou un éclair au chocolat. J’étais dyslexique avec une tendance à percevoir les choses comme elles m’arrangeaient et Nina se moquait volontiers de mon handicap.

Nina, ma latine aux cheveux blonds comme je l’appellerai plus tard, me menait par le bout du nez. Mais à l’adolescence je rêvassais bien plus des exploits de Bill Cody, ce chasseur de bisons légendaire dans lequel je m’identifiais. Combattre des mamouths me semblait plus facile que d’affronter la morgue de Nina.

Je l’aimais bien entendu ma Nina mais chaque fois que je tentais de glisser la main dans  sa culotte, elle me disait : « Epouse-moi d’abord ! » J’en crevais d’envie mais je me rappelais toujours les propos de ma grand-mère qui disait : « Louis avant de dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas il faut avoir goûté. » Je ne comprenais pas forcément le sens de ses mots, toujours est-il qu’il m’arrivait de les interpréter à ma façon.

Séparé par le destin, appelé pour faire mon service militaire dans cette violence des années 60, je ne rêvais que d’elle, ma Nina, derrière sa vitrine alors qu’elle se glissait un doigt dans le nez qu’avant elle m’obligeait à lécher. Mais ce n’était rien à côté de ces sévices que je dispensais ou recevais dans cette sale guerre.

Elle était là, à mon retour, au port de Marseille, m’attendant pour me marier, vierge me dit-elle, pour moi comme gage de son amour. Ce qu’elle ignorait c’est que ma virilité n’était plus qu’un souvenir douloureux mutilée à vie pour un moment d’égarement.

Les yeux dans les yeux, le regard hautain je l’éconduisis, insensible d’apparence aux larmes qu’elle versait. Mon cœur saignait mais c’était le prix à payer pour qu’elle ait une chance d’être heureuse.

Aujourd’hui dans un entrefilet, le journal parle de sa mort accidentelle montrant un photomontage que je ne connais pas. Je pleure, je pleure sur elle, sur moi, sur nous. Je pleure parce que je l’aime, je pleure parce que la honte m’a empêché de parler. Je pleure encore même si mes yeux sont secs.

Après demain je viendrai discrètement m’incliner à ses pieds, baiser la terre qui la recouvrira et espérer qu’enfin elle me pardonne. Adieu Nina.

c’est la rentrée chez bricabook et l’atelier est reparti :

19 réflexions au sujet de « Adieu Nina »

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  2. très belle histoire qui si elle est fictive a pu exister. Qui sait comment les soldats reviennent quand la honte et la peur les dominent. Pas gaie ton histoire ? oui mais si bien contée.
    avec le sourire

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  3. J’ai raté la rentrée de Leiloona… il faut que je retrouve mes marques !
    La photo incitait à des histoires nostalgiques. La tienne est tendre et triste. J’aime quand tu écris avec cet état d’esprit 😆
    Bonne semaine & bisous d’O.

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