L’ivrogne

La girouette grince. Le vent se renforce, siffle, s’engouffre dans la petite rue des abeilles. Le ciel est noir, ivre de colère. La nature se rebiffe.

Hippolyte court, tout essoufflé. Les litres de picrate qu’il ingurgite, le ralentissent. Sa trogne de pochtron et ses humeurs bagarreuses sont de notoriété publique. C’est un querelleur, et vaut mieux s’escamper que de recevoir des coups de canne en bois de palmier.

Au bistro, que quelqu’un ose prendre sa place et c’est le pugilat. Pourtant il est sec, l’Hippolyte, sec et noueux comme un cep. Mais il est fou, la vinasse lui ronge son peu de cervelle. La dernière fois, il a même rossé les gendarmes, sans raison. Il a écopé de trois jours de gnouf, à la diète, sans une once de pinard. Il en était malade, le vieux. Accroché aux grilles, il chialait comme une Madeleine pour avoir sa dose mais la maréchaussée était restée intransigeante.

Trois jours, seul dans une taule. Cinq pas dans un sens, trois pas dans l’autre. Assis, debout, couché. Il s’était ennuyé comme jamais auparavant. Pour asticoter les pandores, il leur racontait des grivoiseries, chantait des chansons paillardes, et plus ils essayaient de le raisonner plus il scandait son répertoire à tue-tête.

Ils l’avaient libéré une fin d’après-midi. La canicule, déjà, lui assoiffait le gosier. Il couru Chez Fernand pour rattraper son retard, boire jusqu’à plus soif.

Mais aujourd’hui l’hiver s’annonce. Le temps se couvre. Du fond de la ruelle on n’aperçoit même plus le manoir du notaire. Il le connait ce bougre, il est allé à l’étude quelques fois pour liquider l’héritage de ses parents. Lui aussi, le sieur Dutilleul, il a le nez couvert d’enluminures. Il picole également mais pas du piqueton comme les gens simples, lui c’est du lourd, de l’alcool à quarante degré, sans glace, qui vous met les boyaux sens dessus-dessous.

La tempête se lève, la clochette de chez Fernand tintinnabule quand l’air s’engouffre partout, on dirait qu’un musicien persévérant répète inlassablement son accord jusqu’à le parfaire. Accoudé au comptoir, lissant machinalement le zinc, Hippolyte commande un whisky. Fernand lève les yeux, intrigué par cette nouvelle lubie. Le maire est là aussi, qui sirote son petit jaune comme chaque soir en revenant des champs : « On a retrouvé l’Yvonne au fond de l’étang. » lâche-t-il laconiquement.

Le Fernand continue de poinçonner ses tickets pour le tiercé du lendemain. L’Hyppolite, hagard, regarde son verre, rêvant d’investir ses derniers francs dans l’achat d’un alambic.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Pour le dernier atelier Des mots, une histoire chez Olivia, voici les mots qu’il fallait utiliser :girouette – ennuyer – s’escamper – manoir – hiver – enluminure – canicule – pugilat – clochette – abeille – palmier – persévérant – zinc – champs – essoufflé – musicien – glace – grivoiserie – étang

38 réflexions au sujet de « L’ivrogne »

  1. WAOUH !!! Très beau portrait de la pochtronnerie ordinaire ! Et puis se rappeler qu’on poinçonnait les tickets de tiercé ne nous rajeunit pas mon pauvre Marcel !!! 😆 J’ai beaucoup aimé ce texte (sans sexe pour une fois !!!^^) (tu vois quand tu veux !!!)…:)

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    1. J’en connais un rayon sur la vinasse de bas étage ma brave dame. :lool: Le café s’appelait chez Marcel dans mon premier jet, drôle non ? 🙄
      Ah merde j’ai oublié le sexe, pas fait exprès. 😀
      Mais tu sais quand tu es dans cet état la bagatelle c’est plus un souvenir qu’autre chose.

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  2. Bien sûr que je renchéris sur le com de Miss Aspho 😆
    Pas de sexe, mais de la vinasse…
    T’es pas gai, non plus, Jean-Charles… je viens de chez Olivia !
    Heureusement que j’ai fait dans la gnangnanserie, ça vous changera 😉
    Bises et bon we à Paname

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          1. Et ben, t’en n’as pas gardé beaucoup de souvenirs 😆
            Tu as raison, c’est trop dur d’être curé ou bonne soeur, ça sert à rien d’ailleurs, ce sont des femmes et des hommes comme les autres, ils peuvent exercer leur sacerdoce avec une vie normale.
            Aïe, le Vatican va m’excommunier !

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            1. Ah oui y a des chances que tu sois interdite de bénitier maintenant, j’en toucherai deux mots au gaga du bâtiment. Euh merde ! du Vatican..
              Non, non le séminaire c’est une galéjade, ma mère tapinait rue St-Denis et mon père était un client de passage, j’ai fait l’école du trottoir, j’suis un poulbot moi madame; 😀 😛

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    1. L’est venue ? Parce que l’maire l’a trouvée qu’elle était pas bien jolie, les poissons l’avaient bien bouffée de partout. Didon elle suçait pas d’la glace non plus celle-là fallait pas qu’elle respire à côté de l’cheminée sinon elle aurait brûlée la pov. elle levait l’coude comme un homme, j’te l’dis moi.

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  3. De beaux personnages. Quand il n’aura plus d’argent pour payer sa vinasse, il pourra vendre sa canne. Elle doit avoir beaucoup de valeur car les cannes en bois de palmier sont très rares !

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  4. Bonsoir JC, Il est peu sympathique ton personnage, mais je le préfère au notaire ! Hyppolite… il n’aurait pas eu une petite aventure avec l’Yvonne du temps de leurs dix-huit ans ? A cette époque Hyppolite dansait comme Astaire !

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    1. L’a point baguenaudé avec la Louise, le batifolage sait même pas c’que c’est. L’Hippolyte son credo c’est :
      « Il est des nôtres
      Il a bu son verre comme les autres
      C´est un ivrogne
      Ça se voit rien qu´à sa trogne. »
      Y’a pas à dire pour ça il est partageur . 😈

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  5. Si le monde était sérieux tournerait-il mieux ?
    J’adoooore ton histoire. 😀 Ton texte est poétique, comment fais-tu pour trouver de la poésie au fond d’une bouteille ? 😀

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  6. Une bien belle façon de nous expliquer qu’il n’y a pas qu’une seule forme d’alcoolisme mais bien plusieurs… On y était (dans le bistro…pas au fond de l’eau …)

    Coincoins à l’eau

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À vous de jouer, quelques lignes pour vous exprimer :