Le Hérisson (10)

— Laisse-moi entrer.

C’était une injonction. Le flic sur le pas de la porte forçait l’ouverture tandis que Luisa tétanisée ne bougeait plus. Elle réussit malgré tout à prononcer, la mâchoire serrée par l’émotion :

— Pourquoi ?

Ni Luigi ni Graziella tout à leur occupation n’avait entendu la sonnette retentir ou le cri médusé de Luisa. Elle articula cependant :

— Pourquoi ce silence ?

Lui ne voulait qu’entrer, sans avoir à s’expliquer dans l’escalier. Elle avait réitéré sa question avant qu’il ne réponde :

— J’ai appris…

Comme elle, parler n’était pas son fort. Mais elle le laissa pénétrer dans le corridor. L’enlaçant, elle ne sut retenir les larmes qui l’envahirent. Il se doutait qu’il en serait ainsi après ce long purgatoire. Alors qu’elle nichait sa tête sur son épaule et laissait tout à la fois son chagrin et sa joie éclater, il lui caressa les cheveux tentant de l’apaiser.

Il était très ému aussi. Tout ce temps sans la voir, sans la serrer contre lui avait été une épreuve difficile. Il était conscient d’avoir mal agi mais avait-il eu le choix ? La douleur dans sa poitrine se faisait vivace.

Avec violence, elle se mit à taper des poings sur son torse comme emportée par un élan de folie. Lui resta impassible supportant le tambourinage, partageant sa peine.

— C’est qui ? interrogea Luigi du fond du couloir.

Scarella surpris faillit renverser le photophore posé sur l’argentier, qui éclairait la pièce.

Luisa tentant d’essuyer ses joues couvertes de rimmel, s’agenouilla pour être à la hauteur de son fils :

— Je te présente le capitaine Scarella.

— Commandant, rectifia l’intéressé.

— Mon père, continua-t-elle.

Le petit garçon déconcerté dévisagea ce grand-père qu’il ne connaissait pas. Était-ce un mensonge ? il jetait une série de regards interrogatifs vers sa mère. Scarella maladroit avec les enfants tendit la main pour effleurer les cheveux de son petit-fils qui courut se réfugier dans sa chambre en claquant la porte.

Une autre porte s’ouvrit laissant apparaître une superbe brune à moitié habillée, un papillon tatoué au dessus du sein droit, les formes voluptueuses cachées dans un t-shirt lilas, l’œil cerné par des abus, qui a son tour demanda :

— Cosa sta succedendo qui ? *

— Niente,** répondit l’homme promenant son regard sur les courbes sensuelles de la jeune fille. Elle était désirable et dans un autre contexte il l’aurait invitée à prendre un caffè con panna…

— Vas t’habiller ! ordonna Luisa alors qu’elle suivait le reflet de Graziella dans la glace du couloir. Elle regardait son père et une foule de souvenirs l’assaillait. Assise sur les genoux de celui-ci riant aux éclats pendant qu’il la chatouillait ou bien pleurant en attendant son retour alors qu’elle essayait gauchement de soutenir sa mère effondrée.

Il la suivit dans le salon, elle s’assit tournant et retournant la bague de fiançailles, bijou de famille, qu’elle arborait à l’annulaire gauche alors que les prismes du diamant attiraient les rayons lumineux du soleil. Scarella contempla la toile du Narcisse du Caravage au dessus du sofa, accrochée en pleine lumière. Il s’agissait du tableau qu’elle avait hérité de sa mère. Il connaissait bien cette reproduction qui avait souvent retenu son regard lorsqu’il était marié.

—  Pourquoi tu es là ? demanda-t-elle.

— Parce que j’avais envie de te revoir. Parce que je voulais connaître mon petit-fils. Parce que je suis fier qu’il porte mon prénom. Parce que j’ai appris la disparition de Liricio. Parce que je ne crois pas qu’on puisse se volatiliser comme ça. Pour t’aider.

Une longue tirade inhabituelle qu’il débita sur un ton monocorde. Luisa ne voulait pas faire de controverse et ferait preuve d’irénisme. Vingt cinq ans qu’elle ne l’avait pas revu. L’espérance payait, devrait-elle remercier la Madone ?

Scarella sentit une main s’engouffrer dans la sienne, il n’avait rien vu venir, tout à ses réflexions. Baissant la tête il fit un clin d’œil à son petit-fils alors qu’une émotion intense l’étreignit.

* Qu’est-ce qui se passe ici ?

** Rien

La liste des mots à utiliser :

douleur – narcisse – irénisme – lilas – choix – fiançailles – mensonge – forme – retour – diamant – photophore – tambourinage – branche – reflet – prisme – réitéré – espérance – papillon – souvent – purgatoire – désirable – série – folie – argentier – controverse – peine

Atelier d’écriture des mots, une histoire chez Olivia 

23 réflexions au sujet de « Le Hérisson (10) »

  1. Je dis bravo ! Retrouvailles sensibles et émouvantes… Mais un tableau du Caravage en héritage c’est juste…impossible ! Ou alors c’est une très très grosse fortune !!! 😀 Et Graziella, une nouvelle ? (ou j’ai oublié depuis le temps !^^). En tout cas ça prend corps et ça se tient ! Continue 🙂

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    1. Non il s’agit bien entendu d’une copie… ce sont des italiens quand même 😀
      Oui tu as oublié : Graziella c’est la baby-sitter qui s’occupe du petit Luigi . Merci pour tes encouragements. 😀 😉

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  2. Je le savais. Cela ne pouvait être lui, celui qui tapait à la porte. Bien joué ! L’émotion du coup se déporte et s’axe sur d’autres types de relation (en incluant l’intermède Grazziela ;-)). On avance donc… De nouvelles pièces à apporter au puzzle par le grand-père peut-être ?

    Coincoins aux courbes sensuelles 😀

    ps : attention au début du texte, petite coquille, « sa tête » s’est nichée deux fois…

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    1. Je vois que tu aimes bien la baby-sitter. Ton voyage à Rome t’a laissé quelques bonnes impressions ! 😀
      Oui j’ai déporté les choses sans savoir du tout quelle sera la suite.. lol
      J’improviserai au moment voulu.
      À bientôt.

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  3. Je me souvenais bien du texte de la semaine dernière et la suite est très enlevée avec de l’émotion là où il faut.
    Pas mal d’avoir placé un tableau pour le mot Narcisse…c’est pas un peintre de la période vénitienne? Le nom me dit vaguement quelque chose…

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    1. Mais t’es où donc, Jean-Charles ? c’est le désert dans la Bloguo ! oh que j’aime pas ça !
      Tu me diras, je peux parler, j’y passe à peine 5 minutes en semaine, alors…
      Bon dimanche et bises d’O

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      1. Bon dimanche également Soène !
        Faire une suite mais j’en ai bien l’intention. Vous tenir en haleine au bout de ma plume est une gageure que j’essaie de relever.
        Suis pas très blogo en ce moment ! 😀
        Bisous dame de là-bas 😛

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