Ils ne passaient pas inaperçus tous les deux, dans le métro, avec leur chapeau vissé sur leur tête. Hélas, ces derniers jours la pluie continue donnait à la capitale un air sinistre. Le soleil se faisait rare c’était pourquoi les parisiens manquaient peut-être d’humour.
Elle était là, assise dans cette rame, le regard dans le vide et un léger sourire au coin des lèvres. Dans ce wagon elle ne faisait que passer, ses pensées la conduisaient dans un autre univers, sûrement plus hospitalier.
Même si lui, son Gustave était toujours l’acteur de ses rêveries, le sillon du temps qui passe avait creusé un fossé entre eux. D’ailleurs, hasard ou choix délibéré ils étaient assis, chacun sur une banquette, chacun de part et d’autre de ce petit couloir qui les séparait.
Lui semblait sérieux comme s’il ne voulait pas qu’on devine sa peine, comme s’il voulait cacher sa tristesse, comme s’il n’aimait pas sa décrépitude, comme s’il avait cessé de refuser l’inéluctable.
Cinquante ans qu’ils étaient mariés. Au début comme tous les autres ils étaient inséparables. Au début comme tous les autres chaque seconde se devait d’être un feu d’artifice. Puis l’usure du temps avait mouillé les pétards, ils s’étaient d’abord tournés le dos, puis avait fait chambre à part pour s’éviter des bruits disgracieux et ensuite leur monde s’était un peu étiolé. Du vivre ensemble, ils étaient passés au vivre côte à côte pour finir par vivre chacun de leur côté. L’amour faisait-il toujours des détours surprenants ?
Aujourd’hui ils étaient bien contents d’avoir chacun leur chambre, de préserver leur intimité et de masquer à l’autre le poids des années. Etait-ce parce qu’ils s’aimaient tellement qu’ils voulaient ne conserver d’eux que des souvenirs démodés ?
Elle était d’un tempérament gai et avait volontairement fait l’impasse sur leurs mauvais moments. Elle l’aimait encore et toujours peut-être avec moins de fougue, avec moins de désir mais d’un amour indéfectible, trop étouffant elle l’admettait !
Lui aussi la vénérait sa Camille mais il avait arrêté le compteur du temps pour ne garder d’eux que l’image de leur jeunesse. Jamais il n’avait fait de faux pas. Il avait clamé haut et fort devant monsieur le maire et leurs familles réunies, un « Oui » sans appel, un « oui » sans retour, un « ou » sans regret. Il s’était tenu à cet engagement sans jamais faillir.
Etait-ce à cela qu’elle pensait aussi à l’instant ? Etait-ce à ces moments fougueux qu’ils avaient perdus ?
Elle sentait sur elle l’empreinte de son corps, la chaleur de ses lèvres, la ferveur de son amour. Elle cultivait ses souvenirs avec attention, veillait toujours à les mettre en lumière, enlevait la poussière pour qu’ils ne soient jamais surannés. Voilà à quoi elle pensait Camille.
Lui regrettait le temps de sa superbe, le temps ou il était capable de la faire virevolter sur une cha cha cha endiablé, le temps ou elle riait à gorge déployée, le temps ou leurs corps à corps…
Station Bonne Nouvelle, ils étaient arrivés. « Viens, dit-il lui tendant la main pour l’aider à se lever, nous avons déjà perdu bien trop de temps. »
Elle ne put réprimer ses sanglots devant son air décidé, reconnaissant dans ses yeux la même lueur que la première fois quand il lui avait demandé sa main.
Un jeu de Leiloona
Un texte plein d’émotion et qui sonne juste.
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Un récit très émouvant … beau choix d’illustration avec L’Age mûr aussi !
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Très beau texte Jean-Charles ! On est « dans » la photo ! Une photo qui ne pouvait inspirer que mélancolie…
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Il est très beau, ce texte, touchant aussi…
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Beau texte très touchant
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@Gwenaëlle @Mathilde @Asphodèle @Amèlie @Aymeline
Merci à toutes
J’ai effectivement essayé de faire un texte tout en émotion parce que c’est la première impression que j’ai ressentie en regardant cette image de plus près.
Si j’ai réussi à vous faire partager ce petit moment j’en suis ravi 😀
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ce « Viens… » m’ a laissé en plan, sur le qui-vive, avec une certaine peur au ventre
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Ah oui !!! Pourtant…
« Viens, viens, c’est une prière
Viens, viens, pas pour moi mon père
Viens, viens, reviens pour ma mère
Viens, viens, elle meurt de toi
Viens, viens, que tout recommence
Viens, viens, sans toi l’existence
Viens, viens, n’est qu’un long silence
Viens, viens, qui n’en finit pas. » Marie Laforêt.
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Criant de vérité ! Et quelle émotion à la fin ! merci !
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Ma plume en avait décidé ainsi et s’est chargée de faire parler cette photo à sa façon. Merci à vous pour ce choix d’image.
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Un joli texte touchant, même si j’ai du mal à croire en une telle longévité des sentiments. Cynique, moi ?
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Oui ça peut effectivement être surprenant mais pourquoi pas ! Oh la la un peu d’optimisme que diable !!! 😀
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^^ Je suis en général plutôt du genre à voir les côtés positifs de toute situation (plus reposant, agréable, productif, enrichissant……..) mais là, j’avoue, difficile pour moi d’être optimiste. 😉 Même si c’est beau de penser que cela existe…
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euh… t’as un mari, un amant ? non, non rassure-toi je ne dirai rien. 😀 😀
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Oui, justement. ^^
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Je ne peux donc rien répondre à cela…:D 😀 😀
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